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sans importance pour les chances de la lutte nouvelle), les combattans rentraient en lice dans la même position respective qu’à pareille date, un an auparavant. C’étaient toujours France et Espagne d’un côté; Angleterre, Autriche, Sardaigne et Hollande de l’autre; et entre deux, l’Allemagne en observation et la Russie sur la réserve, maintenues, par des sentimens divers, dans une neutralité inquiète. Le théâtre de la guerre qui recommençait n’avait pas non plus changé. C’était toujours l’Italie à reconquérir et la Flandre à garder, les mêmes pièces, en un mot, aux mêmes cases de l’échiquier. Tant d’efforts et de sang versé n’avaient fait, à vrai dire, faire aucun pas dans aucun sens.

Et à l’intérieur des divers états engagés dans le conflit comme acteurs ou comme spectateurs intéressés, les dispositions aussi étaient les mêmes. Entre les deux royautés de la maison de Bourbon, on allait voir encore le même renversement des rôles naturels: l’aînée, la plus puissante, celle qui aurait dû commander et conduire, suivant à regret et avec une docilité chagrine les injonctions de la cadette et de la plus faible, et Ferdinand VI exerçant sur Louis XV la même pression que son père, bien que par d’autres et plus doux moyens. Ce n’étaient plus, à la vérité, les violences de l’impérieuse Farnèse; mais la reine portugaise, plus adroite que l’Italienne, tenait tout autant, sans en avoir l’air, à rester maîtresse dans son ménage et dans son royaume. Elle avait l’art d’entretenir à Lisbonne, dans son ancienne patrie, tantôt avec l’Angleterre, tantôt avec l’Autriche, une négociation qui continuait toujours sans aboutir jamais : manœuvre censée secrète, mais que tout le monde soupçonnait, qu’elle désavouait un jour et à laquelle elle faisait mine le lendemain de vouloir associer l’ambassadeur de France. L’Espagne gardait ainsi une porte ouverte pour sortir de l’alliance, à son gré, le jour où elle trouverait mieux son compte ailleurs, en laissant dans l’isolement la France privée de son seul auxiliaire. C’était une menace toujours suspendue dont on pouvait à tout moment supposer et craindre l’exécution. Il n’en fallait pas davantage pour qu’on n’osât jamais mécontenter une alliée si peu sûre et qui pouvait, d’un jour à l’autre, cesser de l’être. En regimbant, en murmurant contre des prétentions capricieuses et des exigences incommodes, on finissait toujours à Versailles par obéir. L’artifice avait beau être apparent, Puisieulx, on va le voir, ne devait pas mieux parvenir que d’Argenson à s’en dégager. Et le plus disposé comme le plus propre à faire jouer tous les ressorts de cette politique captieuse, c’était le nouveau ministre de Ferdinand, le comte de Carvajal, Anglais d’origine et toujours attaché à la patrie de ses aïeux, dont un agent britannique qui le connaissait disait quelques années plus tard : « Nous