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Page:Revue des Deux Mondes - 1891 - tome 103.djvu/263

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Il est regrettable que Favart, qui insère cette épître tout au long dans ses mémoires, pour attester la vertu de sa femme, n’ait pas produit le fac-simile de l’original. Écrite de l’orthographe qu’on connaît, ce devait être une pièce tout à fait piquante. Mais le malheur voulut que les rieurs, qui probablement en avaient eu connaissance, insinuèrent discrètement au maréchal que la maladie prétendue n’était qu’une feinte pour lui échapper en se jouant de lui. — « Envoie-moi, écrit Favart tout effaré, à sa femme, un certificat du chirurgien pour le faire voir au maréchal… On m’a menacé de te faire venir de force par des grenadiers et de me punir si j’en impose sur ta maladie. » Ces alternatives de douceurs et de menaces donnaient aux dépens du commandement suprême une assez triste comédie[1].

On avait beau rire cependant : rien n’ôtait l’envie de se battre. Maurice, voyant que l’impatience gagnait tout le monde, se décida à la satisfaire. Le comte de Clermont qui, à plusieurs reprises, avait écrit à Mme de Pompadour « son regret de n’avoir rien à lui mander, » put enfin lui annoncer que l’armée du roi allait se mettre en mouvement et que lui-même devait marcher vers Maestricht[2]. Ce fut, en effet, dans cette direction et avec l’intention manifeste de mettre le siège devant cette place importante que tous les corps d’armée successivement reçurent l’ordre de se porter. Le roi quitta Bruxelles, transportant avec le maréchal lui-même son quartier-général à Tirlemont, puis à Tongres. — « J’obéis, » disait plus tard le maréchal, ne se dissimulant pas qu’il commettait une faute en étendant sa ligne, et en donnant à Cumberland la facilité de la couper. Il risquait par là de se voir séparé de Bruxelles et de sa base d’opérations. « Cet événement, ajoutait-il, aurait mis nos ennemis dans l’abondance, et nous, fort à l’étroit et dans la nécessité de manger notre pain. » Heureusement il y a remède à tout, et le vice de l’opération fut réparé par l’habileté de l’exécution. Le dangereux mouvement fut assez bien masqué, et conduit avec assez de promptitude pour que Cumberland n’en fût averti que quand il était à peu près accompli et que toute l’armée française était déjà groupée en vue et à portée de Maestricht. Le prince craignit alors d’être encore cette fois gagné de vitesse, et se porta rapidement lui-même vers la place menacée. Restait à savoir s’il arriverait à temps pour s’opposer à l’investissement. En ce cas, la bataille tant désirée était inévitable, et chacun dut s’y préparer.

Il semble qu’à ce moment solennel, le roi de France eût dû

  1. Mémoires de Favart, t. I, p. 24, 34.
  2. Le comte de Clermont à Mme de Pompadour. 14 juin 1747. (Papiers de Condé.) — Maurice à Noailles, lettre déjà citée du 1er août 1747.