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Page:Revue des Deux Mondes - 1891 - tome 103.djvu/264

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n’avoir d’autre devoir et d’autre souci que de veiller au succès de cette grande épreuve où il allait engager encore une fois l’État tout entier, avec sa personne. Mais ce n’était pas le moindre des inconvéniens de la présence du souverain à l’armée que tout le gouvernement s’y transportait avec lui et que, dès lors, les affaires de toute nature, même les plus étrangères à l’action engagée, devaient être traitées et toutes les résolutions devaient être débattues devant lui, au milieu de l’agitation des camps, tantôt à la veille, tantôt au lendemain des émotions du champ de bataille. C’est ainsi que, pendant que tout se préparait pour un combat qui pouvait devenir nécessaire d’une heure à l’autre, on vit arriver à Tongres, où était encore le quartier-général du roi, le ministre des affaires étrangères, Puisieulx, et l’ambassadeur d’Espagne, le duc d’Huescar. Aussi troublés l’un que l’autre, ces importans personnages venaient soumettre au jugement de Louis XV un différend très grave survenu entre le marquis de La Mina et le maréchal de Belle-Isle et solliciter une décision dont pouvaient dépendre l’accord des deux couronnes de France et d’Espagne et le sort de leurs armées combinées en Italie.

Il fallut bien les écouter, toute affaire cessante. Le narrateur est donc obligé de faire comme le roi et son conseil et d’oublier pour un instant les deux armées prêtes à entrer en conflit dans les plaines de Flandre, pour se transporter en esprit à trois cents lieues de là, sur les bords de la Méditerranée. Ce temps d’arrêt est indispensable pour ne pas perdre de vue l’ensemble de cette situation complexe, qui présente à tout instant deux intérêts, l’un politique, l’autre militaire, solidaires l’un de l’autre et engagés à la fois sur deux théâtres différens.


II.

La nouvelle campagne d’Italie s’était ouverte sous d’assez brillans auspices. Belle-Isle était venu reprendre son commandement après quelques mois passés à la cour, où il s’était vu très chaudement félicité par les uns pour avoir chassé l’ennemi des territoires français, non moins vivement critiqué par d’autres pour n’avoir pas su profiter de l’occasion et reprendre pied tout de suite en Italie. Il se remettait à l’œuvre très excité par ce mélange bruyant de blâmes et d’éloges qui est le propre de ce qu’on appelle la gloire. Après quelques années de retraite et d’oubli, attristées peut-être par la comparaison du succès d’un rival, il jouissait de voir s’ouvrir devant lui un champ nouveau d’activité et d’émulation. Ses amis, au nombre desquels il fallait compter tous ceux qu’importunait la renommée du maréchal de Saxe, se plaisaient à faire remarquer