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de préférer cette route à toute autre, en sorte qu’elle regarde aujourd’hui ce point comme convenu et qu’on ne peut s’en écarter sans me compromettre et courir le risque de rompre avec cette couronne. Il serait à craindre que, si on la sollicite de faire un accommodement particulier, elle ne s’y laissât entraîner, si on lui en fournissait un prétexte plausible. » Puis, après quelques considérations assez obscures sur la nécessité de reprendre pied dans le centre même de l’Italie pour rendre plus facile l’établissement de l’Infant et par suite la conclusion de la paix : — « Dans la situation actuelle, ajoute-t-il, l’objet militaire est encore moins intéressant que l’objet politique. J’ai senti quelquefois dans le cours de ma vie combien les intérêts politiques mettent d’entrave aux opérations militaires, et que souvent ils font abandonner les projets qui seraient le plus conformes aux principes de guerre pour en exécuter d’autres qui le sont moins, mais lorsqu’on réunit comme vous, monsieur, ces différentes vues, on sent combien il est indispensable de se conduire suivant les circonstances... C’est ici le cas... Du succès de ce que vous allez tenter dépendra en grande partie le rétablissement de la paix, et on ne douterait presque plus de l’obtenir s’il vous était possible de remplir les objets qui vous sont indiqués. Un si puissant motif est bien propre à vous exciter de mettre tout en usage pour surmonter des difficultés et des obstacles dont je ne sens que trop l’embarras; quel que soit l’événement, s’il n’est point heureux, dès que vous aurez pris toutes les précautions qu’exige la prudence, l’ordre du roi vous justifie. S’il est heureux comme on peut l’espérer, vous en recueillerez la gloire en rendant à l’État les services les plus signalés. Il n’y a que de ne pas tenter l’exécution de ce que le roi veut et désire qui pourrait vous compromettre[1]. »

Si l’on veut maintenant savoir ce que pensaient au fond de l’âme de cette décision souveraine, ceux mêmes qui l’avaient conseillée et étaient chargés de la transmettre, il faut entendre Puisieulx lui-même, parlant à cœur ouvert et en dehors de son rôle officiel. — « Je tremble, écrit-il dans une lettre particulière adressée à Madrid, à Vauréal, en pensant à l’Italie : on l’a voulu et on a travaillé longtemps pour mettre ces affaires dans l’état où elles sont... Je vous avoue que tout cela me désespère. L’Espagne nous échappait quand je suis parvenu au ministère. J’ai fait l’impossible pour la ramener, j’y avais presque réussi, un instant renverse tout, et notre situation est telle que, si M. de Belle-Isle n’exécute pas le projet d’aller par la côte de Gênes, nous nous brouillons sans retour avec l’Espagne ; nous n’entrerons pas en

  1. Noailles à Belle-Isle, 10, 13 juillet 1747. (Papiers de Mouchy.)