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Page:Revue des Deux Mondes - 1891 - tome 103.djvu/354

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fortement la proportion des suicidées par submersion, et que, pour ce qui est des hommes, elles renversent le rapport réel entre les cas de submersion et de pendaison[1]. Cela tient tout simplement à ce que l’individu qui se noie a bien plus de chances de venir échouer à la Morgue que celui qui se pend. Ce dernier reste à la place même où il s’est exécuté ; il est reconnu généralement d’emblée, et le genre même de la mort éloigne plus facilement l’idée de crime, toutes raisons qui diminuent les chances d’un transfert à la Morgue pour cette catégorie de cadavres.

Ces réserves faites, terminons rapidement l’examen de nos statistiques. Le tableau « suicides par état civil » nous montre que ce sont les célibataires qui ont le moins de peine à se débarrasser du fardeau de la vie. En 1888, sur 232 suicides, on a compté 97 célibataires pour 88 individus mariés, 28 veufs et veuves et 19 inconnus. Le tableau u suicides par âges » nous donne l’âge moyen des suicidés de la Morgue : c’est pour les hommes la période décennale de 40 à 50 ans ; les femmes sont beaucoup plus jeunes, presque la moitié des suicidées a dépassé 15 ans et n’a pas atteint 30 ans. On serait tenté d’attribuer le fait à la fréquence du suicide par peine de cœur. Il n’en est rien, comme le montre le tableau suivant, où sont consignées toutes les causes, relevées à la suite d’une enquête minutieuse.

Sur les 181 suicides masculins de 1888, 36 sont rapportés à des désordres d’intelligence, 27 à la misère, 17 à la maladie, 16 à l’ivresse, etc.; 2 seulement sont le résultat d’une peine de cœur. Sur les 51 suicides de femme, les chapitres les plus chargés sont les désordres d’intelligence, les contrariétés et l’ivresse; en queue de la liste figure un seul et unique chagrin d’amour.

Il est inutile de souligner ces chiffres : si c’est le suicide qui peuple en grande partie la Morgue, c’est le détraquement cérébral

  1. l’influence du sexe sur le choix des moyens de suicide se poursuit d’une manière non moins frappante lorsqu’on sort des deux procédés les plus employés. Bien que la question ne rentre qu’indirectement dans notre sujet, le tableau dont nous parlions plus haut est assez curieux pour être reproduit dans son ensemble. Sur 1,000 individus suicidés des deux sexes, on relève les chiffres suivans pour chaque mode de suicide :
    Strangulation et pendaison 473 hommes 320 femmes
    Submersion 244 — 426 —
    Armes à feu 134 — 7 —
    Asphyxie par le charbon 53 — 122 —
    Instrumens tranchans 42 — 27 —
    Chute d’un lieu élevé 27 — 52 —
    Poison 16 — 40 —
    Autres procédés 11 — 6 —