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Page:Revue des Deux Mondes - 1891 - tome 103.djvu/353

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Avant d’aller plus loin, il est nécessaire de faire une remarque. Les statistiques de la Morgue sont dressées avec tant de soin et sont si riches en données de toute sorte, qu’on serait facilement porté à en abuser. Je le ferai d’autant moins que je ne veux pas exagérer le côté technique de cette étude et que, de plus, il y a lieu de faire, au sujet de la généralisation des résultats fournis par ces statistiques, des réserves qui leur enlèvent une partie de leur intérêt.

Voici, par exemple, une longue série de tableaux relatifs au suicide : motifs, procédés d’exécution, influence de l’âge et du sexe, tout est classé avec un soin minutieux; mais, si bien faits qu’ils soient, ces tableaux ne montrent le suicide que tel qu’il est représenté à la Morgue, ce qui est, en somme, d’un intérêt assez médiocre. Leur étude conduirait à des résultats incomplets et même inexacts, si l’on y cherchait une idée générale du suicide à Paris. Les statistiques ne portent que sur les corps amenés au greffe ; or, un grand nombre de suicidés échappent à la Morgue, d’abord parce qu’eux-mêmes prennent souvent d’avance toutes les précautions nécessaires pour éviter cette pénible extrémité, ensuite parce que les corps n’y sont envoyés qu’en cas de nécessité impérieuse, alors qu’il y a doute sur l’identité ou indice de crime. De là toutes les contradictions qu’on constate entre les statistiques particulières de l’établissement et celles de la Préfecture de police, qui englobent tous les cas sans exception.

Ainsi, il est un fait d’observation des plus curieux relatif à l’influence qu’exerce le sexe sur le mode de suicide choisi. Sous son énoncé le plus brutal, il revient à ceci : la femme se noie, l’homme se pend, en quoi d’ailleurs il fait un choix assez judicieux. Si nous prenons les statistiques générales du suicide en France, telles que M. Brouardel les reproduit dans ses Commentaires à la Médecine légale d’Hoffmann, nous y constaterons que, sur 1,000 suicides de femmes, il y a 426 submersions contre 320 pendaisons; que sur autant de suicides d’hommes, il y a, au contraire, 473 pendaisons pour 244 submersions seulement. Comparons ces chiffres à ceux que nous fournissent nos statistiques de la Morgue. En 1888, sur 51 suicidées amenées au greffe, il y avait /i8 noyées et pas un seul cas de pendaison. Les années précédentes, pour un nombre de submersions variant de 38 à 51, il n’y a eu qu’un cas de pendaison par an. Si nous consultons la liste des hommes, nous trouvons, pour 1888, 122 noyés contre 25 pendus; pour les années précédentes, un nombre variant de 97 à 139 submersions contre 33 à 37 pendaisons.

On voit que les statistiques particulières de la Morgue exagèrent