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Page:Revue des Deux Mondes - 1891 - tome 103.djvu/379

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et, avec de l’habileté, il arrive souvent à des constatations de détail sur les coups portés, la manière dont ils ont été portés, l’instrument qui a servi au crime, etc., toutes constatations dont le médecin légiste peut faire son profit. Quand l’assassin s’entête, on le remet entre les mains de ses gardiens, qui se chargeront de le « cuisiner » à leur idée. Un ancien juge d’instruction avait imaginé pour ces cas-là une méthode qui, paraît-il, donnait de très bons résultats. Il avait l’habitude de placer l’inculpé devant le cadavre et de le livrer à ses propres réflexions ; pendant ce temps le juge se promenait en long et en large, les deux mains derrière le dos, mais toutes les fois qu’il passait derrière l’assassin, il lui disait à voix basse en lui détachant un léger coup de coude : « Avouez donc !.. Si j’étais vous, j’avouerais. » — Et le malheureux, exaspéré, trahi par ses nerfs, finissait souvent par tout dire.

L’amphithéâtre dans lequel se font les confrontations judiciaires est le même qui sert aux conférences de médecine légale et aux autopsies ; il a été aménagé dans cette ancienne salle de dépôt dont M. Vibert nous a fait une peinture si énergique. Disposé en gradins circulaires qui s’étagent autour de la table d’autopsie, munie de tablettes à hauteur d’appui, très étroites, sur lesquelles les assistans s’assoient, s’accoudent ou posent les pieds, à leur convenance, il peut contenir jusqu’à cent auditeurs. On y est fort serré, mais du moins peut-on suivre de partout et de très près tous les détails de l’autopsie.

C’est là que, depuis douze ans, M. Brouardel et ses élèves, MM. Descouts et Vibert, font, trois fois par semaine, une autopsie médico-légale devant un auditoire composé surtout de candidats au quatrième examen de doctorat. Complément obligatoire du cours de la Faculté, qui n’est et ne peut être que théorique, ces conférences sont destinées, sinon à faire des médecins légistes de profession, du moins à donner aux futurs praticiens une culture médico-légale assez étendue pour qu’à l’occasion ils puissent se tirer d’une expertise judiciaire sans être exposés à commettre de graves sottises professionnelles. Habitués aux autopsies hospitalières, faites à un point de vue purement scientifique, ils apprennent à Ure dans le cadavre tout ce qui peut éclairer la justice. Ils trouvent d’ailleurs à la Morgue des élémens d’étude qu’aucun hôpital ne peut leur offrir : la pendaison, la submersion, l’homicide, le viol, l’infanticide, l’avortement, ne se rencontrent presque jamais dans la pratique hospitalière et constituent le fonds commun de toutes les expertises médico-légales.

Les conférences de la Morgue sont faites dans un esprit de scepticisme raisonné et discret qui est celui même du maître qui y