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Page:Revue des Deux Mondes - 1891 - tome 103.djvu/401

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en Occident, qu’il avait apporté d’immenses trésors dans ses bagages. Clément V, qui savait de source certaine l’injustice de ces venimeux récits, hésita misérablement : d’un côté, il était trop dans la main de Philippe pour refuser l’entrevue demandée ; de l’autre, il devinait les complaisances indignes que le roi allait essayer de lui arracher. Ses lettres font pitié ; il est malade, il faut qu’il prenne médecine, il s’excuse sur les migraines et sur les saignées. Enfin l’entrevue eut lieu à Poitiers. On y parla des templiers : « Vous n’avez pas oublié, écrit Clément le 24 août 1307, qu’à Poitiers, vous nous avez plusieurs fois entretenu des templiers. Nous ne pouvions nous décider à croire ce qui nous était dit, tant cela paraissait impossible. Cependant nous sommes forcés de douter et d’enquérir en cette matière, suivant le conseil de nos frères, avec un grand trouble de cœur. Attendu que le maître du Temple et plusieurs précepteurs du même ordre, ayant appris la mauvaise opinion que vous avez manifestée sur eux, à nous et à quelques autres princes, nous ont demandé de faire une enquête sur les crimes qui leur étaient, disaient-ils, faussement attribués, nous avons résolu d’instituer, en effet, une information. » — Tel était l’état des choses à la fin du mois d’août 1307 : le pape, plusieurs princes, les chefs des templiers eux-mêmes, étaient instruits de ce qui se tramait ; ils savaient que le roi de France accusait l’ordre d’énormités incroyables, relativement à la foi ; le formidable assemblage de calomnies que Nogaret produisit plus tard était déjà fabriqué. Le pape se disait prêt à instituer une enquête sur les faits articulés. Mais Clément V avait fatigué Philippe de ses tergiversations. Il le priait encore, à la fin de sa lettre du 24 août, de ne pas se presser de lui répondre au sujet du projet d’enquête « parce que, sur le conseil de nos médecins, nous nous disposons à prendre quelques potions préparatoires, puis de nous purger en septembre, ce qui nous sera fort utile. » Or, tandis que le pape espérait, comme un enfant, gagner du temps en gardant la chambre, le roi, installé dans sa chère abbaye de Maubuisson près Pontoise, méditait avec ses conseillers des actes foudroyans. Un dominicain, régent de théologie en l’université de Paris, écrit en octobre au roi d’Aragon, qu’il a « assisté depuis six mois à des réunions où la question des templiers a été débattue dans le plus rigoureux mystère. » Le conseil royal paraît avoir été d’abord divisé ; mais le parti de la violence y prévalut, et Gilles Aiscelin, archevêque de Narbonne, leader des modérés, résigna ses fonctions de chancelier. « l’an 1307, le 23 septembre, dit le notaire rédacteur de l’un des registres du Trésor des Chartes, le roi étant au monastère de Maubuisson, les sceaux furent confiés au seigneur Guillaume de Nogaret, chevalier ;