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on traita ce jour-là de l’arrestation des chevaliers. » On voit encore à Maubuisson les ruines de la salle où se tint cette mémorable séance du 23 septembre qui plaça le sort du Temple entre les mains inexorables de Nogaret. — Les chevaliers étaient alors sans défiance. Jacques de Molay avait quitté le pape entièrement rassuré, persuadé qu’il avait justifié son ordre. Le 12 octobre, à Paris, il porta un des cordons du poêle aux obsèques de Catherine, femme de Charles de Valois, et il dut voir dans cet honneur le signe de sa réconciliation avec le roi, beau-frère de la défunte. Mais, le 13, jour de la Saint-Edouard, Molay et tous les chevaliers de France furent arrêtés, le matin, à la même heure; leurs biens furent mis sous séquestre, au nom de l’inquisition, sous l’inculpation d’hérésie. Nogaret avait préparé silencieusement ce grand coup de filet, en expédiant à tous les officiers royaux des ordres précis, sous pli cacheté, à ouvrir au jour fixé par d’autres lettres patentes. L’inquisiteur de France, Guillaume de Paris, confesseur du roi, avait envoyé de son côté ses instructions à tous les prieurs dominicains, pour leur enjoindre de recevoir et d’interroger, au plus tôt, les templiers qui leur seraient présentés par les gens du roi. Nulle part les chevaliers ne résistèrent ; c’est à peine si quelques-uns réussirent à s’enfuir « en habits de couleur. » — Nogaret voulut procéder en personne à l’arrestation des hôtes du Temple central de Paris.


III.

L’intérêt du drame qui commence le 13 octobre 1307 réside surtout dans la lumière qu’il jette sur le caractère des principaux acteurs, le roi, le pape et les chevaliers. Les dramatis personœ apparaissent, en effet, dans les documens, avec une étonnante intensité d’expression. Après avoir lu les correspondances secrètes et le texte si pittoresque des enquêtes, on a vu ces hommes, on les a entendus, on a sondé leurs reins et leurs cœurs. — Les historiens du passé ont bien rarement le bénéfice d’être ainsi en communication directe avec la vie. C’est d’ordinaire le privilège des romanciers observateurs, qui sont les historiens du présent. L’historien de l’antiquité et du moyen âge est trop souvent condamné aux abstractions artificiellement extraites de faits fragmentaires et sans couleur, pour ne pas jouir profondément de ces épisodes de l’ancien temps qu’il lui est donné de revivre d’un bout à l’autre. Telle la joie du paléontologue, obligé de se contenter, d’habitude, de débris informes, qui découvre entre deux