Page:Revue des Deux Mondes - 1891 - tome 103.djvu/404

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

Le pape a été consulté ; le roi a délibéré avec ses prélats et avec ses barons, c’est pourquoi il cède maintenant « aux supplications de son bien-aimé en notre Seigneur, frère Guillaume de Paris, inquisiteur de l’hérésie, qui a invoqué spontanément le secours du bras séculier. L’assentiment supposé du pape et l’initiative suggérée de l’inquisiteur étaient destinés à légitimer aux yeux de la foule, et au point de vue du droit canonique, l’arrestation, la confiscation, et toutes les mesures à venir. L’opération arbitraire se transformait de la sorte en œuvre pie. « La colère de Dieu, dit Nogaret, s’abattra sur ces fils d’incrédulité; car... nous avons été établis par Dieu sur le poste élevé de l’éminence royale pour la défense de la foi et de la liberté de l’Église. » — Le roi qui souffrait qu’on le fît parler ainsi ne se souvenait plus des fortes paroles qu’il avait écrites en 1301, à la requête du frère Bernard Délicieux, pour flétrir les excès de l’inquisition albigeoise : « Sous l’apparence de la piété, ils ont osé des choses impies et tout à fait inhumaines; sous ce prétexte qu’ils avaient à défendre la foi catholique, ils ont commis des forfaits... »

L’emphatique discours fut lu publiquement en province. A Paris, le dimanche 15 octobre, il y eut un meeting populaire dans les jardins du palais royal; ce fut une seconde édition de la réunion publique de 1303 contre Boniface. Des dominicains, des gens du roi, y brodèrent sur le thème de la circulaire officielle.

Cette circulaire était pour la parade; on ne sonne de pareilles fanfares que pour les badauds ; mais elle était accompagnée d’une instruction confidentielle du roi à ses agens, qui est très nette, en style bref et tranchant. Les commissaires du souverain sur le fait des templiers administreront les biens de l’ordre, dont ils dresseront l’inventaire ; ils « mettront les personnes sous bonne et sûre garde, » ils les interrogeront, et ce n’est qu’après le premier interrogatoire qu’ils appelleront les commissaires de l’inquisiteur pour examiner la vérité, « par torture, s’il en est besoin. » Ils feront écrire les confessions de ceux qui auront avoué. Pour les exhorter à confesser, on leur proposera l’alternative du pardon ou de la mort. On les interrogera par paroles générales jusqu’à ce que l’on tire d’eux la vérité ; la vérité, « c’est-à-dire les aveux, » et qu’ils y « persévèrent. « 

Ces instructions furent exécutées à la lettre. En un mois, frère Guillaume de Paris et ses acolytes expédièrent au Temple cent trente-huit prisonniers. Nous avons les procès-verbaux de leurs assises et ceux des enquêtes faites par les inquisiteurs en Champagne, en Normandie, en Quercy, en Bigorre et en Languedoc. Les templiers de Paris comparurent successivement dans une