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feuilles de schiste l’image imprimée d’un être très ancien, avec l’estampage exact de ses plus délicates nervures.

Le caractère de Philippe le Bel, de Nogaret et des leurs se dessine dès les premières scènes. Quel monument que la proclamation dont lecture fut donnée au peuple dans la journée du 13 octobre, pour justifier l’arrestation ! Nogaret s’y peint tout entier. Cela débute par un préambule ronflant, verbeux, prétentieux : « Une chose amère, une chose déplorable, une chose terrible à penser, terrible à entendre, détestable, exécrable, abominable, inhumaine, avait déjà retenti à nos oreilles, non sans nous faire frémir d’une violente horreur. Après avoir pesé la gravite de ces rumeurs, une douleur immense se développe en nous, en présence de crimes si nombreux et si atroces, qui aboutissent à l’offense de la majesté divine, au détriment de la foi catholique, au scandale de tous. La raison souffre de voir des hommes s’exiler au-delà des limites de la nature; elle est troublée de voir une race oublieuse de sa condition, ignorante de sa dignité, ne pas comprendre où est l’honneur. Elle a abandonné Dieu, son auteur; elle s’est retirée de Dieu, son sauveur; elle a sacrifié au démon et non à Dieu, cette race sans bon sens et sans prudence! » L’auteur du manifeste continue longtemps sur ce ton ; il a parfois des élégances qui font frémir : « Elle a abandonné la fontaine de vie, elle a changé sa gloire en l’adoration du Veau, elle a sacrifié aux idoles, cette race immonde et perfide dont les actes détestables et même les paroles souillent la terre de leur ordure, suppriment les bienfaits de la rosée, et infectent la pureté des airs. » Il précise enfin, et, après tant de précautions oratoires, résume les accusations fangeuses ramassées par la royauté contre les frères de la milice du Temple, qui, « cachant le loup sous l’apparence de l’agneau, supplicient Jésus-Christ une seconde fois. » Il les accuse, entre autres choses, de s’obliger, par le vœu de leur profession, à renier le Christ et à se livrer entre eux à d’ignobles désordres. Sans doute, il était hardi de représenter ces crimes comme des points du règlement d’un ordre religieux, mais plus la calomnie est audacieuse, plus aisément elle trouve créance. Nogaret le savait bien. Il savait bien aussi qu’autant il importe peu que le réquisitoire soit fondé en fait, autant il importe que la procédure soit régulière. Aussi s’empresse-t-il de protester que le roi n’a pas cru d’abord à de pareils forfaits ; ce bon apôtre a commencé par attribuer les dénonciations « à l’envie, à la haine, à la cupidité, » plutôt qu’à « la ferveur de la foi, » au « zèle de la justice, ou à un sentiment de charité, » mais il a bien fallu se rendre « aux motifs de croire légitimes, » aux conjectures probables, surtout aux « constatations. »