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autres la liste des aveux que les procureurs de la cour romaine avaient reçus ou affirmaient avoir reçus de sa bouche à l’époque de la seconde entrevue de Poitiers. Durant cette lecture, Molay donna les marques d’une vive stupéfaction et se signa deux fois en disant « que, si les seigneurs commissaires étaient gens à entendre certaines paroles, il les leur dirait à l’oreille. » — « Nous ne sommes pas ici pour recevoir le gage de bataille. » — « Ce n’est pas ce que je veux dire, mais plût à Dieu qu’on observât ici l’usage des Sarrasins et des barbares, qui coupent la tête des pervers en la fendant par le milieu. » — « Rappelez-vous, repartit le commissaire sans répondre à cette apostrophe, que l’église romaine convainc les hérétiques d’hérésie et qu’elle livre les obstinés au bras séculier. » — Molay, à bout d’argumens, regardait au fond de la salle. Il avisa un chevalier du roi de France, Guillaume de Plasian, qui était venu là sans l’aveu des commissaires, pour surveiller leur procédure et la proie de son maître. Molay demanda à lui parler en particulier : « Vous savez comme je vous aime! dit Guillaume, ne sommes-nous pas tous deux chevaliers? Je ne veux pas que vous vous perdiez sans raison. » — Voilà le templier déjà irrésolu, enveloppé par ces mensongères protestations : « Je vois bien que, si je ne délibère pas, je pourrais courir des dangers. « Il requit aussitôt les commissaires de lui accorder un délai de douze jours. Les commissaires, enchantés, auraient fixé volontiers un terme encore plus éloigné, persuadés que plus les gens du roi auraient de temps pour manier le prisonnier, plus sûrement ils sauraient le réduire à leurs volontés.

Le 28, en effet, le grand-maître reparut à peu près complètement maté. Il débuta en remerciant la commission du délai qu’elle lui avait imparti : « Vous m’avez mis la bride sur le cou. » On lui réitéra alors la question : « Voulez-vous défendre l’ordre? » — Je suis, dit-il, un chevalier pauvre et illettré. Dans une des lettres apostoliques qui m’ont été lues l’autre jour, j’ai entendu que le seigneur pape m’a réservé, moi et quelques dignitaires de l’ordre, à sa justice. Dans l’état où je suis, je préfère m’abstenir. J’irai en présence du pape quand il plaira au pape. Je vous prie même de lui signifier que, étant mortel et sûr seulement du moment présent, je souhaiterais qu’il lui plaise le plus tôt possible de m’entendre. Alors seulement je lui dirai ce que je pourrai pour l’honneur du Christ et de l’Église. » — Tout semblait terminé par cette réponse, mais au moment de se retirer, le cœur du grand-maître se souleva; il s’arrêta et se tournant vers le tribunal : « Pour l’allégement de ma conscience, je veux vous dire trois choses au sujet de l’ordre : la première, c’est que je ne connais pas de religion