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torture furent expédiés aussi, au dernier moment, en Chypre et en Portugal. Il y eut encore, à cette occasion, des effusions de sang martyr. Nous avons la relation des supplices infligés en août et septembre 1311, par l’évêque de Nîmes et l’archevêque de Pise; ces inquisiteurs intelligens n’envoyèrent, du reste, au pape que les dépositions agréables ; ils passèrent sous silence, comme leurs confrères de 1307, les témoignages des obstinés.


IV.

Guillaume le Maire, évêque d’Angers, fut convoqué au concile œcuménique de Vienne, comme tous les prélats de la chrétienté. Malade, il envoya son a avis » par écrit, et cet avis, qui était sans doute celui d’une grande partie de l’épiscopat français, est singulièrement instructif. « Il y a, dit-il, deux opinions au sujet des templiers; les uns veulent détruire l’ordre sans tarder, à cause du scandale qu’il a suscité dans la chrétienté et à cause des deux mille témoins qui ont attesté ses erreurs ; les autres disent qu’il faut permettre à l’ordre de présenter une défense, parce qu’il est mauvais de couper un membre si noble de l’Église sans discussion préalable. Eh bien ! je crois, pour ma part, que notre seigneur le pape, usant de sa pleine puissance, doit supprimer ex officio un ordre qui, autant qu’il a pu, a mis le nom chrétien en mauvaise odeur auprès des incrédules et qui a fait chanceler des fidèles dans la stabilité de leur foi. C’est ce que nous enseigne saint Jérôme : Arius ne fut d’abord qu’une étincelle dans Alexandrie; mais comme cette étincelle ne fut pas étouffée à temps, le monde en a été embrasé. »

Guillaume le Maire avait son siège fait. Mais supposons qu’un évêque, moins zélé royaliste, eût voulu s’éclairer sincèrement au moment de l’ouverture du procès ; en quels termes la question de la culpabilité de l’ordre du Temple se serait-elle posée à sa conscience?

L’ordre du Temple était accusé d’être tout entier corrompu par des superstitions impies, par les illusions de la magie sarrasine. D’après les formulaires pontificaux d’inquisition, qui contiennent jusqu’à cent vingt-sept rubriques, il était plus précisément inculpé d’imposer à ses néophytes, lors de leur réception, des insultes variées au crucifix, des baisers obscènes, d’autoriser la sodomie parmi ses membres. Les prêtres, en célébrant la messe, auraient omis volontairement de consacrer les hosties; ils n’auraient pas cru à l’efficacité des sacremens ; enfin les templiers auraient été adonnés à l’adoration d’une idole (en forme de tête humaine) ou d’un chat. Ils auraient notamment porté nuit et jour, sur leurs