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quant à celles des templiers qui n’ont pas avoué, elles ont presque toutes disparu. — Un seul procédé d’exégèse reste légitime en pareil cas, c’est d’examiner la masse des attestations, non pas au point de vue de leur sincérité, mais au point de vue de leur vraisemblance, à la lumière du bon sens.

Si les templiers avaient réellement pratiqué les rites et les superstitions qui leur sont attribués, ils auraient été des sectaires ; ils auraient vécu d’une vie spirituelle intense, et il se serait trouvé parmi eux, comme dans toutes les communautés hétérodoxes, des enthousiastes pour affirmer leur foi en demandant à participer aux joies mystiques du martyre. Or pas un templier, au cours du procès, ne s’est obstiné dans les erreurs de sa prétendue secte. Tous ceux qui ont avoué le reniement et l’idolâtrie les ont abjurés, ont demandé l’absolution. Chose surprenante, la doctrine hérétique du Temple n’aurait pas eu un martyr ! Car les centaines de chevaliers et de frères sergens qui sont morts dans les affres de la prison, entre les mains des tortionnaires, ou sur le bûcher, ne se sont pas sacrifiés pour des croyances ; ils ont mieux aimé mourir que d’avouer, ou, après avoir avoué par force, que de persister dans leurs confessions. On a supposé que les templiers étaient des cathares ; mais les cathares, à l’exemple des anciens montanistes d’Asie, avaient la folie, la passion du supplice ; ils se sentaient fortifiés miraculeusement par la proclamation répétée et frénétique de leurs doctrines. Chez les templiers, point de joie sacrée, pas de triomphe, pas d’espérance en présence de la persécution ; il ne sort de leur bouche qu’une négation, celle des saints de l’église de Lyon persécutes sous Marc-Aurèle : « Je suis chrétien, on ne fait rien de mal parmi nous. » C’est pour cette négation qu’ils ont tout enduré, avec une obstination qui ne s’explique que par l’amour de la vérité. — Les chefs de l’ordre, dira-t-on, étaient peut-être seuls à connaître les secrets de la secte. Mais si des milliers d’hommes avaient été terrorisés, pendant un siècle, par leurs supérieurs, et obligés à des pratiques aussi incompréhensibles pour eux que visiblement blasphématoires, beaucoup sans doute se seraient révoltés (on admettait dans l’ordre des hommes très jeunes qui n’auraient pas pu tenir leur langue, et des personnages considérables, au déclin de leur carrière, qui auraient osé parler) ; en tout cas, l’ordre abattu par Philippe le Bel, les non dignitaires auraient soulagé leur conscience avec allégresse. Les inquisiteurs n’auraient pas eu besoin de s’adjoindre des bourreaux. Tous se seraient empressés de jeter le manteau du Temple. Or nous voyons au contraire que les frères subalternes se sont comportés, en face de la persécution, de la même manière que les chefs, et qu’il y eut même dans leurs rangs plus de défenseurs obstinés de l’ordre. — Si