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verser plus tard des sommes énormes, sous prétexte d’indemniser la couronne de ce qu’elle avait déboursé pour l’entretien des templiers emprisonnés de 1307 à 1312 : frais de geôle et frais de torture. — Il paraît avéré, en résumé, que les hospitaliers furent plutôt appauvris qu’enrichis par le splendide cadeau offert à leur ordre, tant en France que dans les autres pays, où personne ne se fit scrupule de profiter d’une si belle occasion de gagner. « Il y eut, dit un historien, de véritables saturnales ; une immense débauche princière de pillage et de chantage. »

Restaient les templiers prisonniers. On relâcha tous ceux qui voulurent passer par l’humiliation des aveux. Ces libérés eurent, par la suite, des fortunes diverses, les uns vagabondèrent sur les routes, d’autres essayèrent de gagner leur vie par des travaux manuels ; quelques-uns entrèrent dans des ordres monastiques et quelques-uns aussi, dégoûtés du couvent, se marièrent. Les impénitens et les relaps furent frappés des plus terribles châtimens de la loi inquisitoriale : bûcher ou prison perpétuelle. Les plus illustres de ces relaps de la onzième heure sont, comme on sait, deux des hauts dignitaires que le pape avait réservés à son jugement personnel : le grand-maître Jacques de Molay et le maître de Normandie, Geoffroy de Charnay. C’est seulement en décembre 1313 que Clément V appointa trois cardinaux pour examiner ces chefs que des espérances égoïstes avaient persuadés jadis d’abandonner leurs frères et leur ordre, ce qui avait décapité et paralysé la défense. Le 19 mars 1314, ils furent amenés au portail de Notre-Dame pour écouter leur sentence; à savoir, le mur, la détention à perpétuité en pénitence des crimes avoués. Molay et Charnay avaient été soutenus jusque-là par l’assurance d’une délivrance prochaine, mainte fois promise; ils étaient en prison depuis sept ans ; ils aimèrent mieux n’y point rentrer désespérés : « Nous ne sommes pas coupables, dirent-ils, des choses dont on nous accuse, mais nous sommes coupables d’avoir bassement trahi l’ordre pour sauver nos vies. L’ordre est pur, il est saint, les accusations sont absurdes, les confessions menteuses. » Comme la foule présente s’étonnait et remuait, les cardinaux livrèrent hâtivement au prévôt de Paris ces deux confesseurs tardifs de la vérité; le roi fut prévenu, et, le soir du même jour, au coucher du soleil, un échafaud se dressa, dans l’île des Juifs, entre l’église des Augustins et le jardin du palais. Ils moururent dans la gloire du crépuscule printanier, avec un courage invincible qui frappa grandement les assistans. Il était réservé à un apologiste moderne de l’Église de