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rôle historique qu’il a joué, il se trouve à côté de lui, le soutenant dans toutes ses épreuves, partageant sa captivité, une femme qui a eu tous les héroïsmes avec toutes les modesties, et qui reste le modèle accompli de l’amour conjugal. On peut dire de Mme de La Fayette que son dévoûment s’est élevé au-dessus de tous les genres d’épreuves. Née d’une des plus illustres familles de France, ayant vu de près les grandeurs en même temps que les extrémités de toutes les calamités humaines, elle n’avait gardé aucune vanité de ses joies mondaines comme de ses souffrances incomparables. Son cœur n’avait jamais aspiré qu’à la liberté de se consacrer en paix aux saintes affections qui remplissaient son âme, à celle surtout qui les dominait toutes. Les sentimens et les devoirs faciles d’une obscure destinée eussent suffi à la fille des Noailles. Elle était surtout, suivant sa touchante expression, une fayettiste.

Son mari et Dieu occupèrent sa vie. « Sa dévotion, comme lui disait en riant sa tante. Mme de Tessé, était un mélange du catéchisme et de la Déclaration des Droits. » — Et sa dernière parole devait être, en s’adressant à La Fayette : «Je suis toute à vous. » Elle l’avait bien prouvé depuis l’heure où il la quitta, après quelques mois de mariage, pour aller se battre en Amérique, et pendant les premières années de la révolution, où elle avait accepté les opinions libérales, sans redouter le blâme de la société aristocratique dans laquelle elle vivait, mais aussi avec un tact qui l’empêchait de devenir une femme de parti ; jusque pendant les mois terribles de la Terreur, le cou sous la hache, elle persistait à signer ses lettres : Femme La Fayette.

Quelle vie héroïque et sainte! Quelle âme forte et tendre! Y a-t-il dans notre histoire un plus noble exemple des vertus domestiques? Et pour les révéler au monde, peut-on lire un livre plus touchant que celui consacré par Mme de Lasteyrie à sa mère?

Nous étudierons La Fayette à côté de l’âme de sa femme. Quand elle mourut et quand il eut écrit à M. de Latour-Maubourg l’admirable lettre de janvier 1808, il n’y eut plus pour lui de bonheur. Dans les luttes de la restauration, ainsi que dans les premières années de la monarchie de Juillet, n’ayant plus à côté de lui celle dont l’élévation, la délicatesse, la tolérance honoraient et charmaient sa vie, on sent que quelque chose lui manque. Il eut raison d’écrire au meilleur de ses amis : « Je ne m’en relèverai jamais. »

Il semble que l’heure soit venue de juger avec équité l’honnête homme qui a joué un rôle si considérable pendant cinquante ans. Si les passions ne sont pas éteintes, tous les documens ont du moins été mis au jour et permettent aux esprits éclairés et calmes d’asseoir un jugement sans craindre d’être accusés de faiblesse ou d’injustice.