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l’armée anglaise, lord Cornwallis. La confusion devint extrême, et c’est en ralliant ses soldats que La Fayette eut la jambe traversée d’une balle. Il dut à Gimat, son aide-de-camp, de pouvoir remonter à cheval. Washington arrivait de loin avec des troupes fraîches ; La Fayette allait le joindre, lorsque la perte de son sang l’arrêta; on dut bander sa blessure. Il faillit encore être fait prisonnier. A Chester, à 12 milles du champ de bataille, on trouva un pont qu’il fallait passer. La Fayette s’occupa d’y arrêter les fuyards. Un peu d’ordre se rétablit: les généraux et le commandant en chef arrivèrent, et le jeune blesse eut le loisir de se faire soigner. Transporté par eau à Philadelphie, il donna de ses nouvelles à Mme de La Fayette dans cette lettre sans fanfaronnades et pleine de tendresses :

« Ce 12 septembre, je vous écris deux mots, mon cher cœur, par des officiers français de mes amis qui étaient venus avec moi, et qui, n’ayant pas été placés, s’en retournent en France. Je commence par vous dire que nous nous sommes battus hier tout de bon, et nous n’avons pas été les plus forts. Nos Américains, après avoir tenu ferme pendant assez longtemps, ont fini par être mis en déroute; en tâchant de les rallier, messieurs les Anglais m’ont gratifié d’un coup de fusil qui m’a un peu blessé à la jambe; mais cela n’est rien, mon cher cœur, la balle n’a touché ni os ni nerf, et j’en suis quitte pour être couché sur le dos pour quelque temps, ce qui me met de fort mauvaise humeur. J’espère, mon cher cœur, que vous ne serez pas inquiète. C’est au contraire une raison de l’être moins, parce que me voilà hors de combat pour quelque temps. Cette affaire aura, je crains, de bien fâcheuses suites pour l’Amérique. Il faudra tâcher de réparer, si nous pouvons.

« Vous devez avoir reçu bien des lettres de moi, à moins que les Anglais n’en veuillent à mes épîtres autant qu’à mes jambes. Je n’en ai encore reçu qu’une de vous, et je soupire après des nouvelles.

« Adieu, on me défend d’écrire plus longtemps. Depuis plusieurs jours, je n’ai pas eu celui de dormir. La nuit dernière a été employée à notre retraite et à mon voyage ici, où je suis fort bien soigné. Faites savoir à mes amis que je me porte bien. Mille tendres respects à Mme d’Ayen, à la vicomtesse (Je Noailles) et à mes sœurs. Ces officiers partiront bientôt. Ils vous verront; qu’ils sont heureux !

« Bonsoir, mon cher cœur, je vous aime plus que jamais. »

Cependant le bruit de la mort de La Fayette s’était répandu à Paris. La duchesse d’Ayen put dérober à sa fille cette nouvelle émotion. Elle venait en effet de mettre au monde son second enfant, Anastasie, celle qui fut la comtesse de Latour-Maubourg, et