Page:Revue des Deux Mondes - 1891 - tome 103.djvu/458

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

Séquestré dans son quartier, il ne paraissait qu’à la tranchée et aux conseils de guerre et ne souffrait pas une critique contre l’escadre. Espérant encore les secours de d’Estaing, les généraux américains décidèrent une retraite au nord de l’île, et La Fayette fut prié d’aller trouver l’amiral. Après une marche forcée toute la nuit, il arriva au moment où d’Estaing entrait à Boston. Dans une conférence, l’illustre marin lui démontra l’insuffisance de ses forces navales et justifia sa conduite.

Apprenant le lendemain que les deux armées ennemies se touchaient et que le général anglais Clinton était arrivé avec un renfort, La Fayette repartit pour Howland’s-Ferry, en faisant près de 80 milles en moins de trente heures. Il réussit à retirer de l’île un millier d’hommes sans perdre une sentinelle, et le 13 septembre 1778, le président Laurens lui envoyait cette résolution du Congrès :

« Le président est chargé d’écrire au marquis de La Fayette, que le congrès a jugé que le sacrifice qu’il a fait de ses sentimens personnels, lorsque pour l’intérêt des États-Unis il s’est rendu à Boston, dans le moment où l’occasion d’acquérir de la gloire sur le champ de bataille pouvait se présenter ; son zèle militaire en retournant à Rhode-Island, lorsque la plus grande partie de l’armée l’avait déjà quittée, et ses mesures pour assurer la retraite, ont droit au présent témoignage de l’approbation du Congrès. »

Ce général de vingt ans, déjà si assagi, montra une fois de plus par un trait de bravoure chevaleresque qu’il ne s’était pas désaccoutumé des habitudes et des mœurs des jeunes paladins français.

Dans une lettre publique signée par lord Carlisle, l’un des commissaires envoyés de Londres pour une tentative de conciliation[1], la nation française était taxée d’une perfidie trop reconnue pour avoir besoin d’une nouvelle preuve. Avec l’effervescence de la jeunesse et du patriotisme, La Fayette lui écrivit qu’il ne daignait pas réfuter cette phrase insultante, mais qu’il désirait la punir. Il le provoquait donc. Carlisle refusa le cartel. Washington n’approuva pas la conduite du marquis ; La Fayette lui-même écrivait du reste vingt ans après : « Lord Carlisle eut raison ; ce défi ne laissa pas d’exciter contre la commission et son président des plaisanteries qui, bien ou mal fondées, ont toujours quelque inconvénient pour ceux qui en sont l’objet. »

Il adressa une dernière lettre à Mme de La Fayette avant de solliciter un congé du congrès et d’apporter son épée à la France, en guerre avec l’Angleterre. « Je me flattais, disait-il, que la

  1. Voir Correspondance, t. Ier, p. 236 et 238.