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Page:Revue des Deux Mondes - 1891 - tome 103.djvu/460

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mon cher marquis, de faire cet hiver une visite à votre cour, à votre femme, à vos amis, et que vous hésitiez par la crainte de manquer une expédition dans le Canada, l’amitié m’engage à vous avertir que je ne crois pas la chose assez probable pour déranger vos projets. Il faudrait bien des circonstances et des événemens pour rendre cette invasion praticable et raisonnable[1]. »

Cette pensée d’arracher le Canada aux Anglais et de le rendre à la France hantait toujours le cerveau et le cœur de La Fayette. C’est en partie pour entretenir de ce plan Washington, et plus tard le cabinet de Versailles, qu’il insistait pour avoir une conférence avec le général en chef et pour retourner en France avant l’hiver. Il lui envoya même un de ses aides-de-camp, M. de La Colombe, et il fut invité à s’expliquer sur ce projet devant un comité du congrès[2].

Le plan fut adopté en principe, mais on décida que Washington serait préalablement consulté. Le général développa ses objections dans un message au congrès et dans une lettre confidentielle au président Laurens (14 novembre 1778). La décision définitive de l’assemblée se fit attendre. Ce ne fut que le 29 décembre qu’on la communiqua à La Fayette, avec une lettre du nouveau président, John Jay, chargé de lui exposer que la difficulté de l’exécution, le manque d’hommes et de matériel, et surtout l’épuisement des finances, ne permettraient pas de donner suite au projet ; que si, cependant, le cabinet de Versailles en prenait l’initiative, les États-Unis feraient tous leurs efforts pour seconder les troupes françaises.

Pendant ces négociations, et dès le 13 octobre, La Fayette demandait, avec l’assentiment de Washington, la permission d’aller en France. Il expliquait dans sa lettre : qu’aussi longtemps qu’il avait pu disposer de lui-même, il avait mis son bonheur et son orgueil à combattre sous les drapeaux américains ; mais que, la France étant engagée dans une guerre, il était pressé, par un sentiment de devoir et de patriotisme, de se présenter devant le roi et de savoir de lui comment il jugeait à propos d’employer ses services. Il se regardait comme un soldat en congé qui souhaitait ardemment rejoindre ses drapeaux et ses chers compagnons d’armes.

A la réception de cette demande, le congrès, qui était rentré à Philadelphie, prit deux résolutions qui sont trop importantes pour que nous ne les citions pas en entier. C’est le plus grand honneur

  1. Voir Correspondance de La Fayette, t. Ier, p. 238.
  2. Vie de Washington, par Marshall, t. III. et Correspondance de Washington, t. VI.