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Le plus beau bâtiment des États-Unis, l’Alliance, de trente-six canons, fut désigné pour le porter en Europe. Il recommença un voyage de 400 milles pour s’embarquer à Boston ; il espérait y prendre congé de l’amiral d’Estaing, dont l’amitié et le malheur le touchaient autant qu’il admirait son patriotique courage. Echauffé par ses courses et ses fatigues, mais plus malade encore du chagrin conçu à Rhode-Island, La Fayette voyageait à cheval avec la fièvre, par une forte pluie d’automne. A Feshkill, 8 milles du quartier-général, il fallut céder à la violence d’une maladie inflammatoire. Le bruit de sa mort prochaine affligea l’armée, où il était appelé the soldier’s friend, l’ami du soldat, et la nation entière réunit ses vœux pour le rétablissement de la santé du marquis, nom sous lequel il était plus familièrement désigné.

A la première nouvelle de sa maladie, le directeur des hôpitaux, Cochrane, à qui Washington avait dit, lorsque La Fayette fut blessé à Brandywine : — « Soignez-le comme mon fils, car je l’aime de même, » — Cochrane, quitta tout pour lui. « Washington venait tous les jours savoir des nouvelles de son ami. Brûlé par la fièvre, La Fayette se sentait mourir. Heureusement, la nature ajouta, aux soins assidus du docteur Cochrane, une hémorragie aussi effrayante que salutaire. Il fut sauvé, et Washington et lui purent se dire « un adieu bien tendre et bien pénible. » L’équipage de l’Alliance était incomplet. Le gouvernement offrit ce qu’on appelait une presse de matelots. Mais ce moyen déplut à La Fayette, et l’on prit pour compléter l’équipage des déserteurs anglais et des volontaires. Ce choix faillit lui coûter cher, car il devait miraculeusement échapper pendant la traversée à un complot qui aurait livré le navire aux Anglais.

Le jeune major-général de l’armée américaine s’embarquait pour la France, le 11 janvier 1779. Il était porteur d’une lettre dans laquelle Washington disait à Benjamin Franklin, ministre d’Amérique : — « Lorsque le marquis de La Fayette arrive avec tant de titres à votre estime, il serait inutile, si ce n’était pour satisfaire mes propres sentimens, d’ajouter que j’ai pour lui une amitié très particulière. »

Il était à l’âge où l’on est heureux! Il accomplissait donc sans encombre ce premier voyage, et il entrait dans le port de Brest, le 20 février.


BARDOUX.