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avait fracassé le bras, il dit : « Le sort n’est pas juste ; votre fils méritait d’être invulnérable. »

Pendant que l’entretien se prolongeait, que devenaient la droite et le centre de l’armée alliée, restés (à l’exception de quelques faibles détachemens) immobiles toute la matinée et n’ayant ni bougé, ni souffert ? Leurs commandans, Bathyany et Waldeck, avaient attendu le signal que devait leur donner Cumberland. Quand, au lieu de le recevoir, ils virent l’armée anglaise se repliant et qu’ils se trouvèrent séparés d’elle par la dernière manœuvre de Maurice, ils crurent devoir suivre le mouvement, mais avec une précipitation et un désordre qui au premier moment donnèrent à leur retraite l’apparence d’une fuite et même d’une déroute. Il n’était que deux heures après-midi, dans un des plus longs jours de l’année ; Maurice avait grandement le temps, en se mettant lui-même à leur poursuite, de les atteindre, de les écraser et de mettre les deux tronçons de l’armée coalisée, également meurtris, dans l’impossibilité de se rejoindre. Il eut le tort de ne pas se charger lui-même d’achever sa victoire et d’en remettre le soin à deux de ses lieutenans, les marquis de Clermont-Tonnerre et de Clermont-Gallerande, qui s’en acquittèrent assez mollement. Ces généraux, d’ailleurs, étaient convaincus (comme tout le monde l’était autour d’eux) que les ennemis devaient se retirer par la route qui les avait amenés, laissant Maestricht à découvert, et après les avoir suivis quelque temps, ils les laissèrent échapper sans trop de regret. C’était une erreur dont la conséquence fut très grave. Ne se sentant plus pressés et se trouvant hors d’atteinte, Anglais, Autrichiens, Hollandais, tous se remirent également de la première impression de la défaite. Au lieu de s’éloigner par le chemin qu’on s’attendait à leur voir suivre, ils se rapprochèrent de la Meuse et employèrent activement la nuit à jeter des ponts sur le fleuve.

Le lendemain, à la surprise générale, ils étaient tous réunis sur l’autre rive, à une distance assez rapprochée de Maestricht pour rendre de ce côté l’investissement impossible. L’objet direct de la bataille était donc encore manqué. C’était la même déception qu’à Rocoux. Seulement, cette fois, les Français (pas plus le général en chef que les lieutenans) ne pouvaient s’en prendre à la saison et au déclin du jour de l’imperfection de leur victoire et de l’inutilité de leurs sacrifices.

Au premier moment, cependant, les suites de la faute commise n’apparaissant pas dans toute leur gravité, la satisfaction dans l’armée victorieuse était sans mélange, et personne ne songeait à disputer à Maurice cette gloire nouvelle, dont il s’empressait lui-même de rapporter une part à la présence d’esprit et aux