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le retard causé par les hésitations de M. de La Mina, serait-il encore temps d’agir avant l’arrivée des auxiliaires dont Charles-Emmanuel avait su se ménager l’appui ? Qu’arriverait il alors ? Cette entreprise qui était son œuvre propre, dont il avait décidé l’exécution envers et contre toutes les oppositions, dont le succès reposait sur une tête qui lui était si chère, n’allait-elle pas se trouver compromise, faute d’avoir pu s’y prendre à temps et d’avoir bien calculé la résistance ? Quelle aventure qu’un échec qui le surprendrait en pleine contravention aux ordres du roi ! Quelle responsabilité, suivie peut-être de quelles conséquences ! Ce fut assez pour que dans cette âme mobile autant qu’ardente, à une confiance exagérée succédât sans transition une angoisse mortelle. Il eût été rassuré si La Mina, comme il en fit encore la prière, eût consenti à lui permettre d’envoyer un nouveau supplément de troupes au chevalier dans le cas où celui-ci, après avoir reconnu la situation, ne se croirait pas en mesure de tenter l’attaque. Mais cette fois, La Mina ne voulut pas même écouter sa demande. Pour un coup de tête qu’il avait toujours déconseillé et dont il n’espérait rien de bon, il ne détacherait, dit-il, ni un homme, ni surtout un Espagnol de plus. Il ne resta plus alors qu’à donner au chevalier des conseils d’une prudence tardive.

« A aucun prix, lui écrit le maréchal le 16 juillet, il ne faudrait risquer l’entreprise si le succès n’était pas absolument assuré : les conséquences d’un échec seraient incalculables, au lieu qu’une retraite faite à temps pourrait toujours être expliquée sans désavantage aux yeux du public. On en serait quitte pour dire que la diversion tentée sur les Alpes avait pour but la délivrance de Gênes et que, le résultat une fois obtenu, il n’y avait plus de raison suffisante pour y insister. Vous sentez tout comme moi, dit-il, mon cher frère, qu’après l’ordre du roi que j’ai reçu et tout ce qui vient de se passer, si nous réussissons à prendre Exilles, on nous en tiendra très peu de compte, et qu’au contraire, s’il arrivait un échec, tout le mal retomberait sur nous… Je sens qu’il serait infiniment plus agréable d’aller tout droit devant soi,… mais il faut d’une mauvaise situation tirer le moins mauvais parti qu’on peut… nous aurons la satisfaction d’avoir rempli le principal objet, qui était la délivrance de Gênes : tout le reste ne nous sera jamais imputé… Je viens de voir, ajouta-t-il en post-scriptum, M. de La Mina, qui m’a interrompu : je lui ai parlé de la nécessité de vous soutenir, il a battu la campagne et m’a fait voir clairement qu’il ne fera rien en Dauphiné que par force, et, s’il y est forcé, il abandonnera le comté de Nice et dira que c’est nous qui en serons la cause… Je conviens que cela est cruel, mais il faut partir d’où l’on est… Ne commencez