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Page:Revue des Deux Mondes - 1891 - tome 103.djvu/546

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mont Genèvre, et la droite plus au sud, par le col de Servières. Cette première opération s’accomplit sans difficulté, les Piémontais ne se trouvant en force nulle part et se retirant dès qu’ils étaient attaqués avec une facilité et une précipitation qui devaient sembler suspectes. Mises en route le 14 juillet, les trois divisions étaient arrivées le 18, chacune au poste qui leur était indiqué.

Mais si faibles que fussent les fortifications d’Exilles, encore fallait-il, pour s’emparer de la place, pouvoir en compléter l’investissement, ce qui ne pouvait avoir lieu qu’en pénétrant dans le pâté de montagnes auquel la ville est adossée, et qui s’étend depuis la vallée de la Doire jusqu’à la forteresse de Fénestrelle, couvrant un espace de plus de deux lieues, et percé seulement de distance en distance par des passages étroits et accidentés. De ces passages, ou de ces cols (comme on les nomme tous dans cette région des Alpes), le plus rapproché d’Exilles même et par conséquent celui dont il était le plus important de se rendre maître, c’était celui qui longe le mont connu sous le nom de l’Assiète. C’était la clé de la situation. Le chevalier s’avança pour en faire la reconnaissance lui-même, le 18, dans l’après-midi.

Un spectacle d’une singularité imposante s’offrit alors à ses regards. Toute une série de retranchemens, ou pour mieux dire de barricades était sortie de terre et se prolongeait à perte de vue. C’étaient des pentes gazonnées ou de petits monticules de pierres formés de gros cailloux ou de quartiers de roches, le tout surmonté de hautes palissades qui suivaient comme une chaîne courante les arêtes et les sinuosités de tous les monts de manière à fermer ou à dominer tous les passages. De loin en loin, des accidens de terrain, habilement mis à profit, portaient des redoutes en maçonnerie, formant comme les créneaux de ces remparts improvisés et où étaient logées des batteries d’artillerie. Les canons, dit un écrivain militaire, montraient leurs bouches aux embrasures, et au-dessus des palissades on voyait reluire les baïonnettes de l’infanterie. En avant du mont même de l’Assiète, un terre-plein présentant la forme d’un quadrilatère irrégulier (et que dans les récits du temps on appelle le chapeau ou la tenaille) sortait en saillie de la ligne des retranchemens, et par des feux dirigés de trois côtés devait en rendre l’approche impossible. C’est ainsi qu’un art aussi simple qu’ingénieux avait su tirer parti de toutes les ressources qu’une nature sauvage et les aspérités du sol avaient préparées à la défense. Le seul défaut de cette disposition si fortement combinée, c’était l’étendue vraiment démesurée d’une ligne de combat qu’il paraissait impossible de garnir d’un nombre suffisant de défenseurs. Aussi disait-on que le comte Briqueras, qui avait présidé à ces