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insurmontable. « Le chevalier de Belle-Isle, écrit Barbier, s’est conduit comme un mousquetaire ivre[1]. » — Et le roi lui-même ne put s’empêcher de dire assez haut : « C’est l’ambition de M. de Belle-Isle qui a fait estropier mon armée. »

Comme il arrive d’ailleurs dans toutes les défaites éclatantes, le chiffre des pertes était surfait. Ce n’étaient plus quatre, mais six, et bientôt dix mille hommes qui avaient péri. L’exagération était grande, mais ce qu’on ne pouvait exagérer, c’était le fâcheux effet produit, et pour la suite des opérations militaires en Italie, et pour la situation politique en général. En fait, la campagne au-delà des Alpes était manquée. De la diversion sur le Piémont, il ne pouvait plus évidemment être question, et les bataillons détachés de l’armée y furent rapidement rappelés. Mais parce que le plan de Belle-Isle avait si tristement échoué, celui du général espagnol n’en était pas devenu plus facile à exécuter, et La Mina le sentait si bien que, quand rien ne l’empêcha plus de se mettre à l’œuvre, il ne parut nullement pressé de s’y décider. Il entassa, pendant des semaines, excuses sur excuses et retards sur retards pour se dispenser d’agir, et, quand on le pressait trop fort de prendre un parti, il en était quitte pour dire qu’on avait laissé passer le moment opportun : que ce qui eût été facile quand les armées alliées étaient paralysées devant Gênes, devenait presque impossible depuis qu’elles s’étaient rendues libres, et que le succès leur avait inspiré confiance. Il ne fallut pas perdre beaucoup de temps dans des hésitations de cette nature, pour laisser arriver le moment où les torrens débordés, par suite des premières pluies d’automne, rendent à peu près inaccessible la corniche étroite qui longe la mer. En fin de compte, on dut se trouver encore heureux de garder les positions acquises, sans que les alliés se décidassent à prendre l’offensive pour les reconquérir. Ils en firent à plus d’une reprise la menace ; s’ils ne l’exécutèrent pas, c’est que la mésintelligence qui régnait dans leurs rangs comme dans les nôtres ne leur permit pas de s’entendre sur la direction à donner à leur attaque. Rien ne se fit donc départ ni d’autre que des marches et des contremarches sans résultat, et la fin de la campagne devait trouver les deux armées au même point qu’au commencement. Gênes, à la vérité, n’était plus assiégée, et c’était pour les Gallispans le seul fruit de tant de sang versé. Mais, si la ville n’était plus matériellement bloquée, elle restait toujours dans une situation isolée et précaire, ne recevant de secours que par la voie de mer,

  1. Rousset, le Comte de Gisors, p. 21. — Journal de Barbier, t. V, août 1747.