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Non content d’attaquer les opinions et les livres de Descartes, Schoockius diffame sa vie privée. Il a débuté par la carrière des armes et l’a quittée, désespérant de mériter les hauts grades. Le gouvernement de l’Eglise l’aurait tenté, mais esclave de convoitises brutales, il y aurait craint le scandale. Il change sans cesse de demeure, comme s’il voulait fuir les regards. D’impudiques Phrynés l’accompagnent : Phrynœ quas in deliciis habere arcteque complecti dicitur. Descartes, tout en trouvant l’accusation atroce, prend pour y répondre le ton dégagé d’un gentilhomme : il n’est pas vieux encore, n’a pas fait vœu de chasteté, et ne prétend pas valoir mieux que les autres.

Les calomnies de Schoockius pouvaient avoir cependant de graves conséquences. Si l’on ne craignait pas de mériter la louange donnée, dit-on, à Lamartine historien : «Vous élevez l’histoire à la hauteur du roman, » on pourrait hasarder un rapprochement. Au moment où Schoockius, avec l’indélicatesse de son époque, soulevait ces questions étrangères au débat, une jeune et belle princesse, admiratrice admirée du maître, dont le visage représentait pour lui, il avait la franchise de le lui dire, celui que les poètes attribuent aux Grâces, traversait peut-être, curieuse et pensive, les belles prairies et les riches parterres d’Endegeest, où Descartes s’entourant, pour la recevoir souvent, d’un luxe dédaigné jusque-là, tantôt lui enseignait la métaphysique, tantôt lui faisait résoudre un problème de géométrie, quelquefois analysait pour elle l’amour d’affection et l’amour de concupiscence, tous deux favorables à la santé. On pourrait rappeler l’exil d’Elisabeth, encore mal expliqué, la correspondance avec son ami continuée à l’insu de sa mère par la complaisance de sa sœur Louise Hollandine, dont les principes n’avaient rien de sévère. On comblerait enfin la mesure en citant les dernières lignes écrites par Elisabeth, qui, rappelant à sa sœur un passé qu’elle n’ignorait pas, se reproche d’avoir préféré la créature au créateur.

De telles insinuations, sans commencement de preuves, ressembleraient fort à des calomnies. Descartes s’indignait avec raison contre celui qui en a suggéré l’occasion. C’est à Voet que Descartes répondit. Il se plaint du titre donné au livre : Philosophia cartesiana. On pourrait croire que lui-même l’a écrit. Mais Schoockius a ajouté : Admiranda methodus. Descartes ne pouvait l’écrire ni sérieusement sans manquer de modestie, ni ironiquement sans manquer de franchise.

Descartes croyait adresser la réponse à l’auteur de l’attaque. L’explication de son erreur est surprenante. Tandis que le livre