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sectes : autour du noyau central tout un bourgeonnement grandit où l’œil ne distingue plus qu’un amas indistinct. Au XIe siècle, au XIIe, au XIIIe, deux fois au XVe, au XVIe, au XVIIIe, tout récemment encore, des chefs religieux paraissent qui ajoutent à l’étendue du vichnouisme. Les uns, panthéistes, n’admettent qu’une substance diversement manifestée ; d’autres distinguent deux principes irréductibles. Madhava accepte tous les dieux, mais les subordonne à Vichnou, qui seul ne périra jamais. Quelques-uns laissent là la question métaphysique et la spéculation. Ils ne s’adressent plus à l’intelligence, ils parlent au cœur : une seule chose importe, la loi en Krishna qui a aimé les hommes, la bonne volonté, la charité envers nos frères, les vivans. A côté de ces maîtres qui sont les plus grands, il y en a une infinité d’autres. Aussitôt que dans la foule souffrante un homme se dresse comme messager de Dieu, il trouve des disciples, une secte se forme autour de lui. Cependant, les légendes croissent et multiplient, mille images grossières traduisent à la pauvre multitude les idées ferventes des Inspirés. A leur tour, ceux-ci sont vénérés comme des dieux, comme des demi-incarnations du dieu. Chose singulière, au lieu de se combattre ou de s’annuler, ces croyances différentes s’ajoutent les unes aux autres, subsistent ensemble sur le tronc du vichnouisme, comme la branche née ce printemps grandit à côté des branches plus anciennes. Telle doctrine énoncée au XIe siècle a ses adeptes qui vivent en frères avec les disciples du maître mort il y a trente ans. Comme une chose vivante, la religion de Vichnou garde toutes les formes par lesquelles elle a passé, toutes les pousses jetées dans les différens âges. Comme une chose vivante aussi, elle contient en elle-même le principe de son développement, mais elle tire sa matière du milieu qui l’entoure. L’idolâtrie des races noires, le bouddhisme, les religions de l’Islam, le christianisme, lui ont tour à tour fourni des élémens qu’elle s’est assimilés.

Aujourd’hui, dépourvue de dogme précis, de hiérarchie régulière, faite de cent groupes qui végètent les uns à côté des autres, elle fait penser à ces organismes primitifs, à ces masses molles et vivantes, aux innombrables tentacules, dépourvues de vertèbres et d’ossature, capables de résister à toute mutilation, justement parce qu’elles sont composées de centres indépendans, dont chacun peut être blessé sans que le tout périsse. Tel est aussi l’hindouisme dont cette religion de Vichnou, si diverse et si compréhensive, n’est pourtant qu’un côté. A Calcutta, un Anglais se lamentait devant moi du maigre succès des missions protestantes. Quelques Hindous se convertissent, le plus souvent par intérêt, pour être employés par les Européens. Au bout de quelques années, ils rentrent dans leur caste et dans leur