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que de prendre ainsi ce que j’appellerai le dessus de la discussion, et de se donner, sur ceux que l’on contredit, la facile supériorité de les renvoyer à l’école pour y apprendre les raisons qu’on rougirait de leur donner, il n’y a rien aussi de moins probant, qui sente davantage son échappé de collège.

En abordant ces hautes questions et en les traitant avec le sérieux qu’elles exigent, l’auteur de la Morte n’a donc dépassé ou excédé ni les limites de son art, ni le droit ou le devoir qu’on a, dans des temps troublés, d’affirmer sa façon de penser. Ce sera son honneur et ç’a été son originalité. Mais ce qu’il faut ajouter, c’est que jamais thèses plus graves n’ont été incarnées dans des figures plus vivantes, ou encadrées dans de plus agréables intrigues et dans des drames plus passionnés. Je le dirai mieux en prenant plus de place, et en passant à toute une partie de l’œuvre de Feuillet, que j’ai dû négliger un moment pour mieux mettre en lumière celle de ses idées à laquelle je crois pouvoir dire que lui-même il tenait le plus.


III

Il me semble, en effet, que s’il y a jamais eu, dans notre littérature, ou même dans aucune, des romans de mœurs mondaines, ce sont ceux de Feuillet : l’Histoire de Sibylle, Monsieur de Camors, Julia de Trécœur, un Mariage dans le monde, le Journal d’une femme, la Morte, Honneur d’artiste ; — et, à vrai dire, je n’en connais point d’autres que les siens. Là-dessus, je sais bien qu’il en est des « mœurs mondaines » comme de la « couleur locale. » Qu’y a-t-il donc de si « carthaginois » dans la Salammbô de Flaubert, ou de tellement « nilotique » dans les romans égyptiens de M. George Ebers ? Pareillement, qui dira ce que c’est qu’un roman de mœurs mondaines ? ou seulement ce que c’est que le monde ? Car de même qu’il ne suffit pas, pour être assez carthaginois, d’invoquer « Siv, Sivan, Tammouz, Eloul, Tischri, Schebar, » il ne saurait non plus suffire, pour qu’un roman soit assez mondain,


Qu’on n’y cite en parlant que duc, prince ou princesse !


Je conviendrai même, qu’excusables encore quand, du fond d’une bibliothèque, avec la Bible ou Hérodote en main, nous discutons la fidélité d’un détail de mœurs égyptiennes, nous prêtons toujours à rire quand, pour dîner quelquefois en ville ou pour