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environnans. Israël a été sauvé par son rituel : le Talmud l’a fait durer, en l’immobilisant pour quinze siècles.

Ces rites, ces observances, qui nous semblent parfois puérils, Israël leur a dû la vie. Mais ce rituel, renforcé par le Talmud, n’enchaîne pas le juif jusqu’à la fin des temps. Les pratiques qui tendent à l’isoler des peuples, parmi lesquels il habite, le juif peut s’en dégager. Nous nous représentons le Talmud comme un code immuable, qui régit à jamais la société juive. Nous nous trompons. Le juif, à mesure qu’il lève la tête en dehors de son milieu traditionnel, s’affranchit peu à peu de l’autorité du Talmud. Les préceptes, qu’il tenait naguère pour obligatoires, lui semblent facultatifs. Comme il n’y a pas, dans le judaïsme d’Église, de pape ou de concile, pour juger ce qui doit être conservé et ce qui peut être modifié, les communautés israélites jouissent, en fait, d’une grande liberté. Les observances que pratique scrupuleusement le juif de Vilna ou de Berditchef, l’israélite de Paris ou de Londres peut les négliger. On voit combien il est erroné de nous figurer les juifs comme rivés à perpétuité au Talmud, à son rituel ou à ses maximes.

La vérité, c’est que le Talmud perd peu à peu de son empire. Le temps est proche où, pour la plupart des israélites, la Mischna ne sera plus qu’un monument archéologique. Peut-être ne faudra-t-il, pour cela, qu’un ou deux siècles. Déjà, le Talmud ne garde toute sa puissance que dans les contrées où la loi ou les mœurs maintiennent le juif dans l’isolement. C’est, le plus souvent, l’exclusivisme des chrétiens qui entretient l’exclusivisme juif et prolonge le règne du Talmud. En Orient même, en Roumanie, en Russie, croît, à chaque génération, le nombre des juifs qui en secouent le joug. Jusque parmi les plus fanatiques, le cabalisme des Hassidim a été une réaction contre les excès du ritualisme talmudique. Quant à l’Occident, à la France, à l’Angleterre, à l’Italie, à la majeure partie de l’Allemagne, la plupart des juifs ignorent le Talmud. Demandez aux israélites de votre connaissance ce qu’ils en savent. — Eh ! où voulez-vous que nous ayons étudié le Talmud ? vous répondront-ils ; on ne l’enseignait ni au lycée ni à l’École de droit ; il n’y a ni place, ni temps pour lui dans nos programmes d’enseignement. Et vous, avez-vous lu saint Thomas ? Eh bien ! Le Talmud, c’est l’affaire des rabbins, comme la Somme est l’affaire des curés. — Et, parmi les rabbins même, les vieux juifs d’Orient se plaignent de la décadence des études talmudiques. « Ils connaissent à peine, la Mischna ! » me disait, avec dédain, un jeune talmid des juiveries russes.

Pour grande que soit l’importance historique des Talmuds, le