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Page:Revue des Deux Mondes - 1891 - tome 103.djvu/804

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effacer de nos vieux pays les nobles et chers emblèmes de la religion de nos pères.

« Comment, me disait un Allemand de Silésie, voudriez-vous nous empêcher de rendre au Talmud les coups portés à l’Évangile ? L’appel fait à l’État contre notre clergé et nos associations chrétiennes, n’avons-nous pas le droit de le faire à l’État et au peuple contre les rabbins et les associations juives ? La tolérance qu’il réclame pour lui, qui est minorité, qu’Israël nous la montre à nous qui sommes la majorité. Autrement, il s’entendra de nouveau crier : Hep ! hep ![1] par les millions de chrétiens qui s’imaginent encore que le meilleur présent qu’ils puissent faire à leurs enfans, c’est un évangile et une croix. » Et ce langage n’est pas seulement celui des croyans, je l’ai retrouvé sur les lèvres de sceptiques ou d’indifférens qui, en face du juif, se prenaient à se rappeler qu’ils étaient chrétiens.

L’anticléricalisme a donc été, par contre-coup, un des principaux fauteurs de l’antisémitisme. En plus d’un pays, les juifs s’en sont plus ressentis que les catholiques. A ceux qui dénonçaient l’Église comme un corps étranger, obéissant à un chef étranger, les catholiques devaient être portés à répondre en dénonçant les juifs comme des intrus de race étrangère, sans patrie et sans patriotisme. A ceux qui, en Allemagne, par exemple, accusaient les sujets spirituels du pape d’être, de cœur et d’âme, des « ultramontains, » rebelles à l’esprit germanique, les catholiques devaient être enclins à répliquer en accusant « les sémites » d’être réfractaires à l’esprit allemand et à la deutsche Kultur. — « Front contre Rome ! » avait dit, un jour, en 1879, au plus fort de la bataille du Kulturkampf, une des feuilles de Berlin dirigée et rédigée par des israélites. À ce cri de guerre, l’organe du « Centre ultramontain, » la Germania, ripostait par un autre cri de guerre : « Front contre la nouvelle Jérusalem ! » C’est ainsi que, de tout temps, l’intolérance appelle l’intolérance : abyssus, abyssum

« Le peuple allemand a enfin ouvert les yeux, continuait la Germania : il voit que le véritable Kulturkampf, la vraie lutte pour la civilisation, c’est le combat contre la domination de l’esprit et de l’argent juifs. Dans tous les mouvemens politiques, ce sont les juifs qui jouent le rôle le plus radical et le plus révolutionnaire, faisant une guerre à outrance à tout ce qui reste encore de

  1. Hep ! hep ! cri traditionnel contre les juifs en Allemagne. On en a donné diverses explications plus ou moins fantaisistes ; on a ainsi voulu y retrouver les initiales des mots : Hierusalem est perdita. Ce n’est peut-être, selon l’hypothèse de M. Isidore Loeb, qu’une corruption du mot : Hebe ! heb ! « arrêtez ! tenez-le ! » encore employé dans ce sens en Alsace et dans les pays rhénans.