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Page:Revue des Deux Mondes - 1891 - tome 103.djvu/810

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nouveau ne serait que le Credo du vieux monde hébraïque, » ce n’est pas Jérusalem, ce n’est pas, en tout cas, le juif moderne, qui l’ont appris à l’Europe. Quand il se vante d’avoir ouvert au monde les voies de la liberté et de l’égalité, quand il réclame, pour ses rabbins, la gloire d’avoir été les précepteurs des philosophes et les inspirateurs des Droits de l’homme, le juif fait une confusion. Il confond l’ère moderne et l’antiquité, la synagogue ou la Schule avec le temple du Moriah ; il confond les hakham et les docteurs du Talmud avec les prophètes en Juda ou en Éphraïm, — et le ghetto avec la colline de Sion.

Certes, le judaïsme, ou mieux, l’hébraïsme peut revendiquer sa part dans la lente éclosion des idées qui, après des siècles de servitude, ont émancipé Israël. Comme la Grèce, comme Rome, plus qu’elles deux peut-être, l’aride Judée a, elle aussi, jeté dans le monde plusieurs des semences, qui, demeurées vivantes à travers les âges, ont abouti à la germination de la société moderne. Le juif a le droit de nous le rappeler, quand nous semblons en train de l’oublier. Il y a des pierres de Palestine dans les substructions de nos sociétés nouvelles. Nous le disions ici même, il y a quelque dix-huit mois, par la bouche d’un juif[1]. A plus d’un égard, la Révolution n’a été qu’une application de l’idéal qu’Israël avait apporté au monde. L’idée de la justice sociale est une idée israélite. L’avènement de la justice sur la terre a été le rêve de Juda. Le dernier historien d’Israël nous le remémorait récemment encore. Pour trouver la source première de 1789, il faut creuser par-dessous la Réforme et la Renaissance ; il faut remonter par-delà l’antiquité classique et l’Évangile, jusqu’à la Bible, à la Thora et aux prophètes. En ce sens, il est vrai que le nouveau décalogue des Droits de l’homme procède des tables rapportées du Sinaï, et que la nuit du 4 août a été un lointain et involontaire écho du Horeb.

Mais cette part d’Israël dans la formation des sociétés nouvelles, elle ne revient point au juif du moyen âge ou de l’ancien régime, méprisé, abaissé, avili ; elle revient aux livres hébreux devenus le patrimoine des peuples chrétiens. La Révolution et la société moderne ont-elles des maîtres parmi les juifs, ce n’est point les docteurs en Talmud des Askenazim ou des Sephardim, ce sont les vieux nabis d’Israël, les Isaïe, les Jérémie, les Ezéchiel, qui, à leur manière, ont été de grands révolutionnaires. Si la Réforme elle-même et, avec la Réforme, les libertés anglaises ou américaines tiennent au judaïsme, c’est par la Rible et non par le juif, c’est

  1. Voyez la Revue du 15 juin 1889 et le Banquet du Centenaire de 1789, dans notre volume : la Révolution et le Libéralisme ; Hachette, 1890.