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reconstituer son état militaire, et de l’établir solidement pour conjurer de nouveaux périls. Quoique sortie victorieuse de la guerre entreprise contre la Turquie, la Russie, abandonnée par ses amis de Berlin, était elle-même tenue de pourvoir à sa défense. Nous avons exposé les difficultés de l’Autriche placée entre l’animosité du cabinet de Saint-Pétersbourg et les exigences de celui de l’empire germanique. L’Allemagne, de son côté, entendait préserver de toute atteinte la prépondérance conquise après deux grandes guerres et en consolider la stabilité à tout prix. Ces puissances avaient, toutes également, bien qu’à des degrés divers, un intérêt de premier ordre à se couvrir contre des éventualités pour lesquelles l’équilibre nouveau de l’Europe ne leur offrait pas de garanties suffisantes. L’Italie était-elle en présence de nécessités de même nature ? Son unité était-elle menacée ? Avait-elle seulement des adversaires qui pouvaient nourrir le dessein de mettre son indépendance en péril, de lui disputer la légitime part d’influence qu’elle était désormais en droit de revendiquer dans les conseils des puissances ? On comprend la politique de M. de Bismarck ; elle est simple et nette ; on en distingue la pensée et le but. On conçoit et on saisit facilement celle du cabinet de Vienne. On n’aperçoit pas et on cherche vainement les motifs ou les considérations qui ont pu déterminer l’Italie à aliéner sa liberté d’action. Elle s’est cependant alliée à l’Allemagne et à l’Autriche, unies elles-mêmes contre la France et la Russie. Voyons dans quelles circonstances elle en est venue à prendre une si grave résolution.

Nous l’avons vu dans le cours de cette étude, la reconnaissance pèse lourdement à la conscience des peuples comme des gouvernemens[1]. Le souvenir des services rendus par la France troublait les Italiens. Le prestige des victoires, remportées sur les Autrichiens par les deux armées réunies, nous restait acquis. On en ressentait, dans la péninsule, une humiliation qui blessait le sentiment national. Cette disposition des esprits fut aggravée par d’autres causes. Il ne suffisait pas aux Italiens d’avoir fondé l’unité du royaume ; ils avaient une dernière ambition : ils voulaient établir leur capitale à Rome. La France, jusqu’à la chute de l’empire, y mit obstacle, et l’allié de la veille devint l’adversaire du lendemain. Les organes de la presse française ne mettaient que plus d’insistance et moins de mesure à rappeler la dette contractée par l’Italie, et, sans égard pour la vanité d’un peuple jeune et susceptible, ils

  1. On se souvient des paroles prophétiques du prince de Schwarzenberg. La Hongrie, insurgée, avait été soumise grâce à l’assistance armée de la Russie : « L’Autriche, dit-il, étonnera le monde par son ingratitude. »