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Page:Revue des Deux Mondes - 1891 - tome 103.djvu/900

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des conquêtes de l’Italie, essaie méchamment d’y mettre obstacle. Notre intervention en faveur des sujets du roi de Grèce, justifiée au point de vue du droit international, n’était pas faite pour provoquer une si bruyante manifestation. Mais M. Crispi voulait plaire à Berlin, et flatter l’orgueil national en Italie. Il y fut d’ailleurs encouragé par le prince de Bismarck, désireux d’envenimer chaque jour davantage les rapports de la France et de l’Italie[1]. Sagement, le cabinet de Paris n’usa pas de représailles, laissant au ministre italien le bénéfice de ses aménités diplomatiques, et l’affaire n’eut pas d’autre suite.

En s’engageant dans cette voie, à quelle pensée obéissait M. Crispi, quel était son but ? Esprit pénétrant et pratique, a-t-il prévu que l’Italie, en s’endormant dans une paix coûteuse, s’exposait à un réveil redoutable ? qu’il arriverait un moment où ses forces ne seraient plus à la hauteur de ses sacrifices ? Dans cette persuasion a-t-il voulu, comme on lui en a prêté l’intention, hâter les événemens, et, à l’aide d’une complication cherchée, susciter une guerre qui aurait mis les choses à point et à son gré ? Rien ne nous autorise à le croire. L’homme d’état qui mettrait aux prises une moitié de l’Europe contre l’autre, également et formidablement armées, sans y être impérieusement contraint par le salut de son pays, serait un criminel que les peuples auraient le droit de vouer aux malédictions des générations présentes et futures. Tel est certainement, nous ne voulons pas en douter, le sentiment de M. Crispi lui-même. S’il en est ainsi, que n’imite-t-il son prédécesseur ? Depretis a conseillé à son souverain de s’allier aux empereurs d’Autriche et d’Allemagne ; mais il n’a jamais cessé d’user de la plus entière correction dans ses rapports avec le gouvernement français. Il a dénoncé le traité de commerce, mais dans la pensée seulement d’en imposer la révision à la France. M. Crispi a suivi la même politique en lui donnant un autre caractère. Avec Depretis elle affectait d’être conciliante sans être amicale ; avec son successeur, elle devient militante quand elle n’est pas agressive. Hâtons-nous de le dire cependant ; durant ces derniers temps, M. Crispi a paru vouloir atténuer la rigueur de ses procédés. Dans ses entretiens comme dans ses plus récens discours, on ne relève aucune de ces allusions qu’il s’était permises en d’autres

  1. On lit dans un rapport de l’ambassadeur d’Italie en Allemagne publié par le livre vert : « En suite des ordres du prince de Bismarck, le comte de Munster reçoit l’instruction, dans le cas où M. Goblet lui parlerait de l’incident de Massaouah, de laisser entendre qu’il serait prudent, de sa part, de ne pas envenimer les choses, car si l’Italie se trouvait engagée dans de graves complications, elle n’y resterait pas isolée. »