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Page:Revue des Deux Mondes - 1891 - tome 103.djvu/903

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Campo-Formio, M. Crispi s’est permis une sorte d’anachronisme international qui n’a trompé personne ; il a confondu deux époques sans aucune analogie, supprimé tout un siècle dans l’histoire de la France et de l’Italie, durant lequel le premier empire a jeté les bases de l’unité italienne en érigeant un royaume national dans le nord de la péninsule, durant lequel le second a gagné la bataille de Solférino qui a permis de la constituer définitivement. On est, à bon droit, surpris d’entendre le chef d’un gouvernement représentatif tenir un pareil langage, et on est tenté de dire, après M. Gladstone, ce doyen du parlementarisme, « ce serait grotesque si ce n’était funeste[1]. »

Avec la doctrine de M. Crispi sur les alliances, aucun état, en effet, ne pourrait se sentir en sûreté s’il se bornait à entretenir d’amicales relations avec tous ses voisins indistinctement. La défense de ses frontières exige qu’il s’assure l’assistance des uns pour se couvrir contre l’avidité des autres. C’est un principe de droit public fondé sur la défiance que les maîtres de la science n’avaient pas enseigné jusqu’à nos jours. S’il était généralement observé, il diviserait l’Europe en deux ou plusieurs groupes, armés les uns contre les autres et toujours prêts à en venir aux mains. La conception serait-elle heureuse, le résultat louable ? Des alliances ont été conclues de tout temps ; elles étaient offensives quand les puissances contractantes visaient une combinaison immédiate, des avantages prévus et déterminés. La Prusse s’est unie à l’Autriche pour envahir le Danemark et le dépouiller. Les alliances ont été défensives quand on a pressenti un danger qu’il était urgent de prévenir ou de combattre. C’est le cas, dans une certaine mesure, de l’union austro-allemande. Mais encore une fois, qui menaçait l’Italie, à quels périls son unité, son indépendance, étaient-elles exposées ? Elle vivait en parfaite harmonie avec tous ses voisins, nulle nécessité ne lui faisait un devoir d’aliéner sa liberté d’action, de prendre position, dès aujourd’hui, dans les luttes prochaines si elles doivent éclater. Quelle autre puissance a songé à contracter des obligations, à se lier pour des éventualités qui heureusement ne sont pas imminentes ? Rien ne compromettait le présent, pourquoi a-t-elle engagé l’avenir ? Sait-elle ce qu’il lui réserve, et n’eût-elle pas été mieux inspirée en préférant attendre les événemens pour se comporter selon les circonstances et au gré de ses intérêts ? Sans raison, sans urgence, pourquoi l’Italie s’est-elle obligée, même éventuellement, à tirer l’épée contre la France, à garantir à l’Allemagne la paisible possession de l’Alsace et de la Lorraine, à l’Autriche

  1. Contemporary review.