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Page:Revue des Deux Mondes - 1891 - tome 103.djvu/92

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elle l’entend, comme elle le juge à propos... Elle doit rester libre et indépendante vis-à-vis du gouvernement; c’est la garantie des sommes considérables qu’elle détient, c’est la garantie de ses créanciers. »

On ne saurait évidemment prendre tout à fait à la lettre ces affirmations si catégoriques ; il est bon toutefois de les relever, car elles établissent que l’indépendance de la Caisse des dépôts et consignations n’est pas exclusivement du domaine de la théorie. Rappelons encore que la Caisse est placée sous le contrôle et la surveillance des chambres, que ses opérations sont l’objet d’un rapport annuel au parlement, que son budget ne fait pas partie du budget des recettes et des dépenses publiques. Elle ne figure au budget de l’État qu’au chapitre des « produits divers » pour le montant de ses bénéfices nets. Encore est-il opportun de remarquer qu’aucun texte organique n’a soumis la Caisse à l’obligation de verser ses bénéfices nets au trésor. Ce sont les lois annuelles de finances qui ont établi la tradition.

Il ne faut rien exagérer dans l’un ou l’autre sens. Il est difficile, mais non absolument impossible, d’imaginer des circonstances qui mettraient aux prises un ministre des finances et la commission de surveillance de la Caisse des dépôts. Dans la pratique, l’accord est aisément maintenu par les relations si étroites, de tous les jours et de tous les instans, qui unissent les deux administrations. En outre, le plus souvent le rôle de la Caisse est passif. Elle gère d’énormes capitaux, mais d’après des règles strictes et des formules immuables. Enfin, l’indépendance que le caractère même de son institution lui confère existe surtout à l’égard du ministre des finances ou plutôt des actes arbitraires que celui-ci pourrait vouloir imposer à la direction de la Caisse. Mais celle-ci est étroitement soumise à la commission de surveillance qui elle-même est une émanation directe du parlement et des grands corps de l’Etat. Ceux pour qui la Caisse est une simple fiction ou un impedimentum dont on se pourrait débarrasser sans dommage, sont surtout frappés de l’avantage que présenterait la suppression de tout intermédiaire entre l’État, dépositaire de trois milliards et plus, et les légions de déposans. C’est précisément pour éviter ce trop étroit tête-à-tête que l’on jugera indispensable de conserver, aussi autonome que possible, un établissement sur lequel l’État s’est très heureusement déchargé d’une gestion qui pourrait l’entraîner, aujourd’hui surtout, en de trop périlleuses tentations.


AUGUSTE MOIREAU.