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Page:Revue des Deux Mondes - 1891 - tome 104.djvu/106

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et l’on retrouve ici l’enroulement des mosaïques, les treillis de marbre, les rangées sinueuses de lotus en relief, les bains mystérieux, les terrasses sans balustrade, d’où l’on voit le soleil descendre sur une plaine de roseaux, toute semblable à celle d’Agra. La petite mosquée des femmes est un bijou de marbre qu’on dirait taillé dans une seule pierre. Les trois dômes sont des perles légères : il manque un écrin.

J’aime mieux la grande mosquée, la plus belle de l’Inde, me dit-on, probablement de l’Asie. De larges escaliers, qui, d’un seul élan oblique, tombent en nappes de marbre; plus haut, une cour pavée d’albâtre poli, toute blanche, éblouissante, et qu’on dirait faite d’une seule pierre immense et lisse; sur trois côtés de cette cour, une profonde galerie, que soutiennent quatre rangs de piliers; à droite et à gauche, des minarets élancés et rigides, c’est le grand style mahométan. Étonnante dureté et simplicité des lignes : l’ensemble a quelque chose de dominateur et d’absolu. Les tours montent toutes nues au-dessus de la ville impérieuses, en conquérantes. C’est ici que l’empereur, suivi de ses nobles et de son peuple, debout sur les dalles, en face d’une muraille blanche, écoutait les versets âpres du Coran, la loi enthousiaste et farouche. Puis, il ordonnait le sac d’une ville hindoue, faisait construire des mosquées avec les pierres des pagodes abattues et glorifiait dans son cœur le nom orgueilleux d’Allah...

Les prêtres d’Allah ne sont pas orgueilleux. Le grand-prêtre, avec une gravité silencieuse, nous a montré des reliques de Mahomet : une sandale, un poil de barbe. Comme je m’inclinais, saisi de respect et de reconnaissance, tout d’un coup, il a tendu la main. Cheddy-Lall, qui se charge des bakchichs, lui a remis trois annas. Toujours silencieux, le grand-prêtre s’est incliné, en nous remerciant d’un geste plein de noblesse.

Au moins, celui-ci garde les apparences. Les commerçans hindous sont plus expansifs. A la gare, trente marchands de châles attendent et harcèlent le malheureux voyageur. Ils le suivent jusqu’à l’hôtel, courant après la voiture, accrochés à la portière, au marchepied, gesticulant, l’assaillant d’une grêle de cartes, l’inondant d’un intarissable flux de discours obséquieux. A l’hôtel, vous n’en êtes point débarrassé. Ils s’installent sur la véranda, ils montent la garde devant votre chambre, devant la salle à manger : vous sortez, ils se précipitent; c’est une bousculade, il faut montrer le poing, brandir sa canne pour avancer. Les premières batailles livrées, vous vous croyez tranquilles, sachez qu’à toute heure des regards perçans vous guettent. A six heures du matin, vous ouvrez les yeux. Aussitôt, à l’autre bout de la grande chambre blanche la porte s’entre-bâille et cinq bras passent, agitant des étoffes, des pantoufles,