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Page:Revue des Deux Mondes - 1891 - tome 104.djvu/117

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avec un légitime sentiment d’envie, les réformes accomplies par Peel en Angleterre, de 1842 à 1845, réformes qu’il n’était pas alors possible d’appliquer immédiatement en France, mais dont le caractère populaire et la haute portée sociale étaient de nature à frapper tous les esprits? — Eh bien, les prohibitions et les droits prohibitifs, que le ministre du commerce proposait de supprimer en 1834, et dont le ministère de M. Guizot demandait de nouveau la révision en 1846, étaient encore debout, et intacts, lorsque sombra, en 1848, la monarchie de juillet. Depuis le commencement jusqu’à la fin du règne, la réforme, étudiée et désirée par l’administration, sollicitée par les principales chambres de commerce, appuyée, au nom de la science, par les académies et dans les chaires d’économie politique, la réforme, même réduite aux proportions les plus modestes, fut constamment enrayée par l’association des maîtres de forges et des grands manufacturiers. Il était naturel que ceux-ci, soit pour leur profit privé, soit dans l’intérêt de leurs nombreux ouvriers, ou pour ces deux causes ensemble, fissent opposition à tout changement dans leurs conditions de travail et de vente. Pour eux, la prohibition, c’est-à-dire la possession exclusive du marché intérieur, était l’unique garantie de sécurité et de fortune. Mieux valait tenir ferme cette garantie que de courir les chances d’une incertaine extension d’affaires et d’un accroissement douteux de profits, sous le régime d’une concurrence dont ils exagéraient les périls. Cette opposition industrielle, aussi ardente que partiale, fut assez puissante pour avoir raison des ministères successifs et des organes les plus éclairés de l’opinion publique. Ses membres appartenaient à la bourgeoisie opulente qui, dans les élections, dirigeait les votes des classes moyennes; ils formaient un groupe nombreux dans la chambre des députés ; en politique, ils étaient conservateurs, très dévoués à la monarchie de 1830; le roi Louis-Philippe avait intérêt à les ménager, et les ministres avaient besoin d’eux pour s’assurer la majorité. Ces grands industriels ne se bornaient pas à filer, à tisser, à forger ; ils faisaient et pouvaient de faire des ministères ; ils surent, jusqu’à la fin du règne, rejeter ou ajourner les plus inoffensives réformes et défendre contre tout amendement la législation qui les protégeait.

Les prohibitions ne furent abolies et les tarifs ne furent sérieusement abaissés qu’en 1860, à la suite du traité conclu avec l’Angleterre. Jusqu’alors, le gouvernement de l’empire avait évité de soulever les grosses questions douanières; il savait que, dans le corps législatif comme au sénat, la révision des tarifs rencontrerait les difficultés contre lesquelles s’étaient heurtés les gouvernemens