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Page:Revue des Deux Mondes - 1891 - tome 104.djvu/118

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qui l’avaient précédé. L’industrie, après tout, était dans une situation prospère ; les grands manufacturiers s’étaient facilement ralliés à l’empire ; l’intérêt politique ne semblait donc pas conseiller un changement qui, en jetant le trouble ou tout au moins l’inquiétude dans les intérêts matériels, pouvait réveiller une opposition redoutable. L’acte de 1860 fut, comme on l’a dit, un véritable coup d’état économique. L’empereur Napoléon III voulut-il, dans une période critique des affaires extérieures, acheter par un traité de commerce l’alliance très ébranlée de l’Angleterre? Fut-il soudain touché de la grâce du libre échange et converti par Richard Cobden? Ou plutôt, désireux d’en finir avec une législation empreinte d’ancien régime et de donner, en quelque sorte, à son règne le luxe d’une liberté, saisit-il avec empressement l’occasion d’accomplir une réforme qu’il jugeait populaire, et de réaliser, dans sa puissance souveraine, ce que deux monarchies avaient tenté vainement? Par la soudaineté et par l’imprévu, le traité de 1860 devait produire un effet considérable: il éclata comme une bombe dans le camp des protectionnistes; il fit entonner un Te Deum aux partisans du libre échange; il atterra les graves sénateurs et jusqu’aux députés les plus officiels, mécontens d’en être réduits à se voir notifier des décisions aussi importantes, prises sans eux, et comme en défiance de leur dévoûment et de leurs lumières. Et cependant, à le considérer de près, le traité de 1860 ne méritait ni les appréhensions des uns ni l’enthousiasme des autres. Remplacer les prohibitions par des droits qui pouvaient s’élever jusqu’à 30 pour 100 de la valeur des produits importés, réduire les anciens droits à un taux qui n’était pas inférieur à 10 pour 100 et qui, pour la plupart, atteignait 20 pour 100, ce n’était point détrôner la protection ni sacrer le libre échange. Presque toutes ces propositions sommeillaient depuis plus de trente ans dans les archives du ministère du commerce ; l’acte de 1860 les fit sortir, d’un seul coup, des cartons administratifs.

Le traité de commerce conclu avec l’Angleterre fut suivi de négociations engagées avec les différens pays de l’Europe qui avaient à obtenir de la France le même traitement, moyennant des concessions équivalentes. Dès la première période des conventions, les protectionnistes, qui leur étaient naturellement très hostiles, prétendirent que l’industrie nationale, exposée à une concurrence trop vive, ne pourrait pas soutenir la lutte, que des usines allaient se fermer, de hauts-fourneaux s’éteindre, et le travail se ralentir dans les grands centres manufacturiers. Aujourd’hui encore, sans doute pour les besoins de la cause, on affirme sérieusement que le traité de 1860 a été un acte néfaste. — Qu’il n’y ait eu quelques erreurs dans les calculs à l’aide desquels ont été réglés les tarifs