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forcer, dans cette nouvelle édition, la note protectionniste; mais il ne paraît pas convaincu par les lamentations ni par les réclamations de l’agriculture et de l’industrie. S’il admet la convenance de certaines augmentations de droits, il s’en excuse par l’exemple des autres pays qui ont élevé leurs tarifs. Il ne s’associe pas aux griefs exprimés contre le régime des traités de commerce. Il demande qu’il soit tenu grand compte des industries d’exportation, dont la prospérité est si intimement liée à celle de la France. Autant que l’on peut en juger par la lecture de ce document, qui est habilement rédigé, le gouvernement aurait préféré le maintien de l’état de choses actuel. Il sent qu’il marche sur des œufs, qu’il n’aura l’heur de contenter personne, et qu’il devra, au parlement, soutenir de rudes combats. Aussi, comme procédé de conciliation, a-t-il imaginé, pour notre nouvelle loi douanière, un système tout à fait inédit, qui consiste à établir deux tarifs, l’un général, l’autre minimum, ce dernier «représentant la limite extrême des concessions que peut faire chaque industrie, non pour être à l’abri de la concurrence étrangère, mais pour lutter sans désavantage avec elle. » Nous avons eu jusqu’ici, à côté du tarif général, un tarif conventionnel, résultant des traités conclus avec les pays étrangers, tarif variable comportant des abaissemens par la voie diplomatique, sous réserve de l’approbation des chambres. Le tarif minimum est tout différent : c’est une barre fixe et inflexible au-dessous de laquelle notre diplomatie n’osera point consentir à une réduction de tarif, quel que doive être l’avantage politique ou autre d’une concession plus large. Dans de telles conditions, la négociation des traités de commerce deviendra bien difficile, et il y aurait à examiner si l’institution du tarif minimum, ainsi défini, n’a point pour conséquence de faire échec au droit constitutionnel, en limitant ou en gênant singulièrement les pouvoirs du président de la république et l’action du gouvernement en matière de traités.

Le caractère général de ce double tarif, qui comprend 654 articles avec de nombreuses subdivisions, c’est, comme on devait s’y attendre, une élévation plus ou moins sensible des droits comparés avec ceux du tarif de 1881. Pour s’excuser de n’avoir point osé davantage, le ministre du commerce a déclaré, dans l’exposé des motifs, qu’il ne paraissait pas prudent de passer brusquement d’un pôle à l’autre. La commission des douanes, à la chambre des députés, ne s’est point rendue à ce conseil de sagesse; elle a, pour maints articles, augmenté les chiffres proposés par le gouvernement, et elle s’est orientée d’un pas très résolu vers le pôle de la prohibition. Est-ce là ce que réclame l’intérêt public? Il ne s’agit pas d’examiner en détail les chiffres du tarif, de discuter sur des tant pour cent, d’opposer la statistique libre-échangiste