Page:Revue des Deux Mondes - 1891 - tome 104.djvu/128

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

ils estiment que les droits de douane sont nécessaires ou utiles : nécessaires, pour empêcher la ruine de telle industrie que menace de trop près la concurrence étrangère; utiles, pour développer la prospérité des industries qui sont à la veille de lutter avec succès contre cette concurrence ; le tout, dans l’intérêt du travail national. En outre, pour la discussion actuelle, ils croient puiser une grande force dans les manifestations officielles de l’opinion. Il est incontestable que les élections législatives et sénatoriales ont donné la majorité à la protection. La question a été posée de telle sorte qu’il ne pouvait en être autrement. — Voulez-vous être protégés? — Toutes les mains se sont levées naturellement : propriétaires du sol, fermiers, chefs d’industries, ouvriers, paysans, tous ont dit : oui. Par une direction très habile, les protectionnistes ont obtenu une majorité de plébiscite. Au parlement, ils ont organisé des groupes qui continuent, en l’exagérant, la poussée électorale, ils ont donc l’opinion pour eux. Qui oserait leur contester d’être les représentans de l’intérêt public ?

S’il s’agissait, comme autrefois, de se prononcer entre deux principes, entre la protection et le libre échange, et de décider quel est celui de ces deux principes dont l’application sert le mieux l’agriculture et l’industrie, les partisans de la liberté des échanges pourraient, sans désespérer de l’avenir, reconnaître que l’opinion publique leur est aujourd’hui contraire. Mais là n’est point la question. Il s’agit de savoir, en restant sur le terrain de la protection, si le tarif conventionnel, qui est un tarif protecteur, doit être remplacé par des taxes plus élevées. Or la manifestation électorale laisse intacte l’étude du problème. Chacun veut être protégé, c’est entendu ; mais cela ne veut pas dire que chacun veuille la protection pour les autres. Nous voyons, dans les conseils supérieurs de la protection, les filateurs faire cause commune avec les éleveurs, les fabricans de fromages s’allier avec les maîtres de forges, les industries les plus diverses former une sorte de macédoine pour un pétitionnement commun. C’est de la tactique : l’union fait la force. Cela signifie-t-il que les industriels désirent voir taxer les produits agricoles et que les agriculteurs se réjouissent des taxes proposées pour les produits manufacturés? C’est le contraire qui est vrai. Déjà se révèlent les dissentimens et les protestations : les fabricans de peaux ouvrées ne veulent pas du tarif des peaux brutes ; les tisseurs de soie et leurs ouvriers repoussent tout droit sur les soies grèges, etc. Les dernières élections n’ont exprimé que des opinions régionales ou simplement professionnelles. L’Association des industriels, non plus que la Société des agriculteurs, ne saurait les invoquer comme un signe de l’intérêt public. Pour discerner où est l’intérêt public, il faut précisément s’élever au-dessus des opinions