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Toute sa prévoyance est pour ce qui va naître ;
Le reste est confondu dans un suprême oubli.
Tous, vous avez aimé ; vous pouvez disparaître :
Son vœu s’est accompli.

Tous les êtres, formant une chaîne éternelle,
Se passent, en courant, le flambeau de l’Amour ;
Chacun, rapidement, prend la torche immortelle
Et la rend à son tour.

Du moins, vous aurez vu luire un éclair sublime ;
Il aura sillonné votre vie un moment.
En tombant, vous pourrez emporter dans l’abîme
Son éblouissement.


Quelle est la part de l’instinct ? quelle est la part de l’intelligence dans les actes amoureux qui poussent les animaux à se rechercher et à s’unir ? Problème difficile et même insoluble, si l’on voulait y apporter une solution absolument rigoureuse. Mais pourquoi chercher l’absolu en pareille matière ?

Nous pouvons toutefois, sans trop nous compromettre, dire à peu près quelles sont les différences entre l’intelligence et l’instinct. Ce qui caractérise l’instinct, c’est qu’il n’est ni modifié ni modifiable parle caractère de l’individu. Les animaux pourvus du seul instinct ne peuvent rien apprendre et rien oublier. Le dindon qui fait la roue dans une basse-cour, en présence des dindes qui l’admirent, agit comme ont agi tous les dindons ses ancêtres et comme agiront ses enfans : ni mieux ni plus mal. C’est la répétition pure et simple d’un acte qu’il ne comprend pas. Pour faire la roue, il n’a pas besoin d’avoir vu le dindon son père faire la roue dans la même basse-cour pour lui enseigner la manière de s’y prendre. Il sait cela de naissance ; c’est la conséquence de son organisation.

L’intelligence est un tout autre phénomène ; elle suppose une acquisition personnelle, individuelle, qui n’est pas l’apanage de la race, mais qui est la conséquence d’un souvenir réfléchi de l’individu. Le gentilhomme qui dans un salon baise la main d’une grande dame ne fait pas cela par instinct, mais par intelligence. L’éducation lui a appris cette formule de politesse et de galanterie ; et il trouve bon de s’y conformer ; mais il le fait sciemment, volontairement ; il sait qu’il pourrait faire autrement, et il comprend la portée de ce qu’il fait.

Donc, toutes les fois qu’on verra chez tels ou tels animaux des actes compliqués, se répétant avec une uniformité absolue, sans que l’individu les modifie par un changement volontaire quelconque, on pourra dire que c’est de l’instinct, et que l’intelligence n’y est pour rien.

S’il en est ainsi, on voit à quel point doit être rare l’intervention