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aient choisi les plus beaux, soit que la lutte entre les mâles n’ait laissé survivre que les plus vaillans. La crinière du lion, les andouillers des cerfs, les défenses du sanglier, les cornes des béliers, les colorations variées des poils chez les singes, tous ces ornemens résultent de la concurrence entre les mâles. Chez les quadrupèdes, comme chez les oiseaux, le beau sexe est encore le sexe masculin.

Puisque le mâle est pourvu d’appareils d’attaque ou de défense, qui font complètement défaut aux femelles, il est évident que ces appareils servent non à la lutte pour l’existence, mais à la lutte pour la possession des femelles. Pourquoi, en effet, la biche n’aurait-elle pas des andouillers et des ramures comme le cerf, si ces armes devaient servir à la défense contre les fauves et les chiens? En réalité, l’absence de ramures chez les femelles ne saurait se comprendre, si l’on n’admettait pas qu’elle a pour cause, et pour cause unique, la lutte entre les mâles. Et, en effet, les mâles se livrent entre eux à de vraies batailles rangées qui durent souvent des heures entières, et où le plus souvent il y a plusieurs victimes.

Il est vraiment curieux de voir combien ces appareils de défense (des cerfs, des antilopes, des rennes, des béliers, des boucs) sont en même temps de magnifiques appareils d’ornement. Les formes en sont assez gracieuses pour exciter notre admiration, et tout nous fait croire que les femelles partagent à cet égard nos sentimens esthétiques.

Chez les quadrupèdes, la décoration extérieure a certainement moins d’importance que chez les oiseaux. Pourtant la couleur d’un superbe pelage excite l’admiration, — et nous pourrions presque dire l’amour, — chez les femelles. J. Hunter a raconté, il y a longtemps, la ruse qu’on est forcé d’employer pour déterminer l’accouplement de la femelle du zèbre avec l’âne ; il suffit de colorer un âne avec des stries blanches transversales, de manière à imiter grossièrement la parure bigarrée du zèbre. Le mâle est moins difficile; sa passion est assez aveugle pour qu’il n’y regarde pas de si près, et il n’exige pas tant de beauté. Mais la femelle, plus délicate, demande, avant de se rendre, l’appoint d’un certain charme extérieur. Pour la femelle du zèbre, la beauté suprême, c’est la zébrure de son mâle.

C’est dans la famille des singes que l’on peut trouver le plus grand développement des ornemens extérieurs. Ils ont, suivant l’espèce, des parures extraordinaires, barbes, favoris, crinières, moustaches ; le tout bizarrement hérissé, et disposé de manière à leur donner des aspects qui pour nous sont joyeusement comiques,