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ont l’ambition de conduire les peuples « au combat géant de l’avenir. » Dans l’ordre révolutionnaire, comme dans l’ordre conservateur, les Allemands aspirent à l’hégémonie.

C’est donc à la source même qu’il est instructif d’observer ce phénomène complexe et confus, qui appelle l’attention de tous les partis, la sollicitude de toutes les classes, la discussion de tous les journaux, et produit une littérature dont l’abondance même est un embarras.


Le premier mobile du socialisme, l’antagonisme du pauvre et du riche, est éternel. L’antiquité a eu ses guerres d’esclaves, le moyen âge ses jacqueries. Dans son livre sur la Question ouvrière au XIXe siècle, M. Paul Leroy-Beaulieu cite des sociétés secrètes existant en Chine, qui prêchent, comme les socialistes occidentaux, l’égalité, une équitable distribution des biens. M. Taine nous a révélé à quel point la révolution française est imprégnée de socialisme; il a décrit, jusque dans le détail le plus minutieux, la tentative faite par les représentans des masses prolétaires, qui ont eu un instant la domination pendant la Terreur, pour appliquer le principe socialiste dans toute sa rigueur, refondre l’homme et la société sur le type jacobin, et transformer l’état souverain en distributeur des biens et des vivres, c’est-à-dire en organisateur de la misère et de la famine. Le fond plus ou moins déguisé des systèmes socialistes est bien encore le jacobinisme, l’idée que la nature humaine peut être transformée par le despotisme de l’Etat. Mais sur ce jacobinisme est venue se greffer la question ouvrière, produit d’un siècle nouveau.

Aussi longtemps qu’a duré la constitution familiale de l’ancienne industrie, où tout se faisait à bras dans des ateliers exigus et dispersés, où l’ouvrier était maître des instrumens et du produit de son travail, cette question ne pouvait naître. Mais la grande industrie, avec ses moteurs à vapeur, ses capitaux énormes, accumule les ouvriers par centaines de mille dans ses vastes manufactures, et les soumet à la loi d’un travail acharné. Exposés par le perfectionnement des machines et l’excès de production à des crises périodiques, ceux-ci ont puisé dans leur nombre le sentiment de leur force, et l’armée des prolétaires a engagé la lutte du travail et du capital.

Dans ce conflit, la classe ouvrière n’invoque pas seulement la force, mais aussi la justice. L’ouvrier a la perception très nette de ce fait que les inventions modernes procurent de gros revenus, des gains considérables, que jamais période civilisée n’a été comparable pour la production de la richesse, que jamais classe ne s’est si rapidement, si subitement enrichie que la bourgeoisie contemporaine.