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cherté des vivres, la médiocrité des traitemens ont amené au parti des recrues de plus en plus nombreuses. Les chefs ne s’y sont point trompés, et ils en ont tenu compte dans leur plan de campagne.

La conduite et la direction du mouvement socialiste depuis la guerre passait de plus en plus aux mains des communistes. L’internationale de Marx s’était dissoute au congrès de La Haye en 1872, où Bakounine et les révolutionnaires slaves refusèrent d’obéir à un juif allemand. Elle s’éteignait comme un feu de nuit sur la montagne, pour se rallumer de nouveau au congrès marxiste de Paris, en 1889. C’étaient maintenant les chefs allemands qui gardaient le dépôt de la doctrine et prenaient le commandement de l’armée. L’Allemagne allait devenir le foyer le plus actif du socialisme en Europe. Les succès remportés, et les persécutions qu’on commençait à subir rendaient l’union des deux partis inévitable. L’absorption du parti de Lassalle par celui de Bebel et Liebknecht eut lieu en 1875 au congrès de Gotha, où 9,000 marxistes et 15,000 lassalliens se fondirent en une masse unique de 24,000 membres réguliers du parti démocrate socialiste.

Le programme élaboré à Gotha a résumé pendant vingt ans toutes les revendications de la démocratie sociale, jusqu’au congrès de Halle où Liebknecht l’a écarté comme ne correspondant plus aux circonstances nouvelles. On l’a comparé à une cuisine de sorcières. Il contenait un mélange de principes collectivistes et de politique ultra-radicale; mais il énumérait aussi les réformes possibles et exigibles dans la société actuelle : droit de coalition, journée de travail normale, interdiction du travail du dimanche, défense du travail des femmes et des enfans pouvant nuire à la santé et à la moralité, lois protectrices de la vie et de la santé des ouvriers, libre administration des caisses d’assistance et de secours mutuels, — questions dont quelques-unes ont été résolues par la législation, et que le parti socialiste se vante d’avoir imposées à l’attention du parlement et à la sollicitude du pouvoir. L’agitation pour des exigences pratiques va devenir le trait qui caractérise la démocratie sociale allemande.

En même temps qu’elle poursuit des buts précis, immédiats, cette agitation, selon la prescription même du programme de Gotha, se sert de moyens légaux. Buts pratiques, moyens légaux, — c’est là ce qui la distingue absolument, — sans parler des théories centralisatrices, — de l’anarchisme et du nihilisme. Au congrès de Gand, en 1877, où les partisans de Marx et de Bakounine se trouvaient réunis, Liebknecht exposait avec précision la méthode de son parti, la participation à l’État, le socialisme correct, l’action politique et parlementaire, la propagande pacifique. « La conquête