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Page:Revue des Deux Mondes - 1891 - tome 104.djvu/202

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nouvelle : elle avait apaisé d’éternelles querelles, maintenu la discipline, achevé l’éducation politique ; on parlait du programme le moins possible, on se bornait à critiquer le protectionnisme, à se plaindre de la cherté des subsistances dont souffrait le petit peuple. Les chaînes de la loi une fois tombées, une discorde éclatait aussitôt dans le camp socialiste, sur laquelle les adversaires fondaient de grandes espérances.

Par la force des choses, la loi d’exception avait donné une importance prépondérante aux députés membres du parti, la fraction, comme on l’appelait. L’immunité parlementaire leur laissait une certaine liberté d’action, eux seuls pouvaient parler librement du haut de la tribune. Ils dirigeaient presque sans contrôle les affaires de la démocratie sociale et se trouvaient ainsi investis d’une sorte de pouvoir dictatorial. Les vieux chefs qui avaient traversé les temps difficiles étaient devenus prudens; ils s’étaient modérés à mesure que le parti grandissait; ils avaient le sentiment de leur responsabilité. Les jeunes, au contraire, à leur tête le nouveau député Schippel, le docteur Bruno Wille, sortis de milieux universitaires, meneurs de l’opposition berlinoise, où se trouvent les partisans les plus agités, les plus avancés, excités, d’ailleurs, par la victoire électorale et la défaite du prince de Bismarck, et comme s’il suffisait d’une poussée hardie pour faire rouler la bourgeoisie au fond de l’abîme, accusaient les chefs de dictature, de parlementarisme, de modérantisme, leur reprochaient de prendre part à une réforme qui n’était que charlatanisme grossier. Ils exigeaient que toutes les forces du parti fussent consacrées à l’agitation révolutionnaire. Mais Bebel, Liebknecht, Singer, étaient trop populaires, ils avaient rendu trop de services pour qu’on réussît à les mettre en suspicion. Ils n’eurent qu’à se montrer dans les réunions publiques, à Dresde, à Berlin, pour avoir raison de cette opposition de « gens de lettres. » La querelle des deux politiques devait être solennellement tranchée au congrès de Halle.

La fraction avait fixé au 12 octobre la réunion du congrès qui devait mettre fin à ses pouvoirs, reconstituer le parti, discuter la politique dans le passé, fixer le plan de campagne pour l’avenir. Ce parlement des ouvriers, le premier qui se tenait en Allemagne depuis treize ans, organisé sur le mode représentatif, comptait 413 délégués et quelques invités étrangers. Des femmes se trouvaient parmi la députation de Berlin.

Bebel exposa d’abord la situation financière. L’accroissement des recettes n’est pas moins caractéristique de l’extension du parti que l’augmentation régulière du nombre des voix aux élections successives. Au congrès de Wyden, en 1880, le fonds central comptait 37,410 marks; à Copenhague, en 1883, 95,000 marks;