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Je suis entré dans un temple qui jette son grand escalier sur la place. En bas, des chameaux agenouillés dorment et des chiens sont étendus au soleil sur les degrés. On monte et l’on arrive devant une cour où des vaches errent en liberté sur le marbre. Dans un coin, les deux arbres sacrés, le mâle banyan et l’arbre femelle, qu’on nomme pipala. Une vieille femme tourne rapidement autour du premier, une autre verse un peu d’eau sur les feuilles du second. — A côté, une deuxième cour est ceinte d’une galerie que supportent des piliers. Là, dans l’ombre, un groupe rouge de femmes assises écoute tranquillement la mélopée nasillarde du prêtre qui lit le Ramayana. Les jolies figures régulières qu’on aperçoit sous les capuchons ne semblent guère absorbées par la méditation. Tout ici se passe en famille : le prêtre accroupi, enguirlandé de fleurs, balance son corps au rythme de sa phrase qui monte et qui s’abaisse. Quantités de moineaux picorent familièrement parmi les fidèles, et de grands corbeaux sautillent gauchement sur le dos des vaches assoupies. Tout à fait caractéristique de l’hindouisme, ce culte en plein air, ce lieu sacré qui tient à la fois de l’étable, de la volière et du temple. Une violente lumière frappe les murailles barbouillées de bleu par les aventures de cinq cents dieux. — Derrière le prêtre, au fond de la galerie, un tabernacle obscur où l’on aperçoit l’idole, une petite poupée à figure noire, Parabatti, habillée de rouge, gardée par deux lions. Au-dessous d’elle, son époux, le grand Siva, n’est représenté que par le Lingam, emblème de la vie. Là viennent prier les femmes stériles et les jeunes filles qui désirent un époux.


En face du temple, de l’autre côté de la grande place où bouillonne la multitude des gens et des bêtes, se dresse le collège du maharajah. J’en admirais la façade bizarre et rose comme celle du palais du Vent quand un étudiant m’a invité à entrer. On m’introduit chez le principal, que je trouve assis dans un petit cabinet obscur, devant des piles de livres. Physionomie hindoue très douce, très fine, un peu soucieuse, tournure d’homme d’étude, fluet, voûté, vêtu simplement d’une longue tunique noire. Avec des gestes sobres, en quelques mots simples d’un anglais parfait, il m’a souhaité la bienvenue, puis m’a conduit aux salles de cours. Les examens supérieurs étant tout proches, les étudians qui s’y préparent sont restés chez eux ; nous ne voyons que les élèves de première et de seconde année. Dans de grands halls, à colonnes, de petits groupes d’étudians se serrent autour d’un professeur. Ni chaires, ni bancs, ni pupitres. Tous se lèvent à notre entrée et s’inclinent profondément en touchant deux fois leurs lèvres d’un