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noire, dans le brouillard piquant des docks, et pour toucher l’une de ces âmes hindoues dont nous savons si peu. Ces grands hymnes wesleyens, chantés sur des airs de bastringue, quelle émotion peuvent-ils éveiller chez ces Asiatiques? Sont-ils touchés par ces jeunes femmes venues de là-bas pour se mêler à la populace de Bombay, pour se vêtir de ses vêtemens, pour vivre de sa vie, non comme des étrangères, mais comme des sœurs, pour les aimer en Jésus-Christ?

Là-dessus Cheddy Lall, que j’ai consulté, m’a dit : « On aime mieux les autres missionnaires. Ceux-ci ne vont pas en voiture, comme doivent faire les Européens; ils s’habillent comme nous. On pense qu’ils sont pauvres, et on les méprise. »


Je suis revenu par la plage qui borde non la rade, mais la grande eau libre. Pas un bateau. D’ici on ne voit rien de la ville, mais seulement ce sable blond, humide de la marée descendante, et le bleu doux de cette mer. Des parfums familiers de goémons et de varechs mouillés respires dans l’enfance sur les plages bretonnes. Derrière soi, on imagine des falaises grises, des dos sombres de lande éclairés de la pâle flamme des genêts. Ce paysage, le même en Europe et dans l’Inde, apaise l’esprit inquiété par le spectacle des humanités différentes, par le grouillement des races étrangères.

De petites lames accouraient, dressées avec une transparence pâle, tremblaient dans un éclair d’argent pour s’abattre avec un clapotis léger. Un parsi est descendu au bord de l’eau et, les lèvres agitées par une prière, a regardé le soleil dont le disque palpitant tombait. Au moment où l’astre touchait la ligne des eaux, il s’est incliné deux fois, puis a tendu les bras vers la grande clarté rose qui flottait à l’Occident...


24 décembre.

Ce matin, après le chota hazri, je suis monté à Malabar-Hill, un promontoire vert chargé de villas et de palmiers à travers lesquels on voit luire le bleu incertain de la mer, étinceler la charmante et brumeuse Bombay. La rosée monte en un brouillard ténu dont la blancheur flotte, ondoie, se déchire mollement comme une gaze et d’où surgissent les grandes palmes fraîches. Par terre, des fleurs comme à Ceylan, fleurs d’azur, fleurs de sang où tremblent et roulent de grosses gouttes d’eau.

Plus loin, un jardin où cette végétation est ordonnée avec un art