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qui, dans leurs voiles somptueux, se prélassent au bord des plages pour respirer un peu de fraîcheur, et maintenant fendre impétueusement l’air enflammé d’un vol strident...

Tout autour de nous le calme et la splendeur du jardin tropical. L’air tiède est plein de parfums, les éternels petits écureuils rayés trottent avec confiance dans les allées. Et dans cette douceur et cette beauté des choses, il est difficile à l’esprit de concevoir ce qu’il n’est pas permis à l’œil de contempler. Là, tout à côté, sur les trois plates-formes toutes blanches, sous le soleil tropical, dans un éblouissement de lumière répercutée, les rangées de corps tordus par la chaleur, les poitrines entr’ouvertes, les ventres vidés par les becs de corne, les crânes pelés, les rigoles rouges de sang desséché...

D’ici la vue est bien belle sur Bombay. La mer est d’un bleu voilé très doux sous le ciel qui blanchoie dans son ardeur, vaporeuse, pâlie par la moiteur qu’elle exhale. A gauche, au bord de cette eau, c’est une autre mer, d’un vert sombre et lustré, dont les vagues immobiles sont figées, une mer de palmes d’où sortent des tours lointaines, des beffrois gothiques, des toits de pagodes. — Ce monde est beau.


ELLORA.


26 décembre.

Trois cents kilomètres sur le grand péninsulaire au clair de lune, à travers d’inquiétantes silhouettes de montagnes dressées en grands troupeaux. Forêts, maisons, rochers, le détail du paysage a disparu et les grandes formes silencieuses, brumeuses comme des fantômes sous la lune bleuâtre, semblent les seuls habitans du globe obscur. Puis treize heures de carriole sur une mauvaise route, seul avec mon cocher dans le Nizam, en plein Dekkan, voilà de quoi calmer l’esprit après la chaleur et la confusion de Bombay.

Contrée sauvage, déserte, tapissée de landes et de jungles. Quelquefois un petit hameau hindou, une petite pagode pyramidale, biscornue, compliquée comme toutes les pagodes, un étang sacré où les paysans se baignent le malin suivant le rite.

Sur la route, personne, sauf, vers neuf heures, une troupe d’hommes, d’enfans, de femmes qui suivent une file de pesans chariots antiques tranquillement traînés par de grands bœufs blonds. Où vont-ils? On dirait une migration de tribu aux temps primitifs...

Bien vite dépassée la horde nomade. Vers midi, dans le Sud, se