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d’autre part, ceux qui avaient un revenu fixe se trouvèrent gênés par la cherté croissante de la vie. Il fallut même, en plusieurs pays, augmenter le traitement des fonctionnaires. Ces exemples prouvent à quel point ce qui concerne la monnaie a d’influence sur les conditions d’existence de tous.

L’intime solidarité que le commerce établit aujourd’hui entre tous les peuples rend ce fait encore plus sensible. Un grand état ne peut modifier sa législation monétaire sans que tous les autres pays en ressentent le contre-coup. Quand, après 1816, l’Angleterre, abandonnant définitivement l’emploi simultané de l’or et de l’argent, adopta l’étalon d’or et qu’en même temps, pour reprendre les paiemens en espèces, elle attira à elle plus d’un demi-milliard de francs d’or, précisément au moment où les mines de l’Amérique livraient une quantité notablement réduite des deux métaux, il en résulta dans le monde entier une intense et longue crise de contraction monétaire et de baisse des prix, caractérisée par les souffrances de l’agriculture et de l’industrie que signalent les écrits du temps. Après 1870, l’Allemagne, grâce à l’indemnité de guerre de 5 milliards, crut pouvoir passer facilement à l’étalon d’or, à l’exemple de l’Angleterre, et elle commença à démonétiser l’argent. Les états de l’union latine, ne voulant pas continuer à maintenir leurs hôtels des monnaies ouverts à l’argent que le gouvernement allemand vendait, suspendirent la frappe libre de ce métal ; les autres pays, sauf l’Inde et le Mexique, en firent autant, et depuis ce moment l’or seul doit faire l’office d’instrument d’échange international qui était naguère accompli par les deux métaux. Il en est résulté, — d’après un grand nombre de financiers et d’économistes dont je fais partie, — une contraction monétaire et une baisse des prix tout à fait semblables à celles de la période 1820-1830.

Au mois de juillet dernier, les États-Unis adoptent une loi qui oblige le trésor à acheter chaque mois 4,500,000 onces d’argent. Ce nouveau silver-bill a pour effet de faire remonter, en septembre, le prix de l’argent sur le marché de Londres de 42 à 54 pence l’once standard. Aussitôt les conséquences de cette hausse se font sentir dans le monde entier. Nos écus de 5 francs qui ne valaient plus intrinsèquement que 3 fr. 50 reprennent une valeur d’environ 4 fr. 50. Cela ne nous touche guère, car ces écus, investis par la loi du plein pouvoir libératoire, circulent au pair de l’or ; mais cette hausse du métal blanc engage les états qui l’ont pour étalon, la Russie et l’Autriche, à chercher les moyens de passer à l’étalon d’or. D’autre part, le commerce avec l’extrême Orient et même avec l’Autriche est soumis à des perturbations violentes qui entravent les exportations. Les exportateurs de Trieste et de Fiume, de la Chine, de l’Inde et du Japon se plaignent de ne plus trouver