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Page:Revue des Deux Mondes - 1891 - tome 104.djvu/385

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doch nur ein Paris ! Dieu ! il n’y a tout de même qu’un seul Paris! » à tout moment ils répétaient ce proverbe de leur pays.

L’enthousiasme les tenait en éveil : à minuit, ils parlaient encore de Paris et de ses magnificences. L’intensité absolue de leur admiration m’abasourdissait : le fait est que ni l’un ni l’autre ne paraissaient avoir trouvé à Paris une seule chose qui ne fût herrlich, famos, wunderbar, en un mot surnaturelle. Notre pays était à leurs yeux l’incarnation de l’élégance, de la richesse et de la majesté, les trois qualités qu’ils me semblaient le plus enclins à apprécier. Mais ce qui augmentait ma surprise, c’était de voir ce que ces Allemands avaient admiré à Paris. Aucune des véritables grandeurs de la ville, ils ne semblaient l’avoir seulement remarquée. Ils ne faisaient mention que d’endroits dont je ne me doutais point, d’un grand café sur le boulevard où la bière était excellente, d’un restaurant à très bon marché servi par des dames, et puis des cafés-concerts et des filles. Sur ce dernier point ils ne tarissaient pas, avec une indiscrétion plus naïve que plaisante, la même qu’ils avaient mise tout à l’heure à parler de leurs femmes. L’idée qu’ils se faisaient de Paris, après de telles expériences, me déconcertait. Je finis pourtant par y distinguer deux choses superposées : une admiration a priori, fatale, héréditaire, et puis une profonde incapacité de rien comprendre à ce pays qu’ils avaient besoin d’admirer. Je songeais à ces dures paroles de Mme de Staël : «En toute chose, les Allemands ont trop de considération pour les étrangers et pas assez de préjugés nationaux. Les Français leur ont fait peur à jamais. » Je me rappelais l’effort constant de tous les écrivains allemands pour exciter leurs compatriotes à être des Allemands, au lieu de s’attarder dans le mépris d’eux-mêmes et l’admiration inintelligente des étrangers. « Ayez donc une fois enfin le courage de vous abandonner sans honte à vos impressions, de ne pas rougir de vos vrais sentimens naturels ! » leur disait Goethe. Hélas ! tous ces écrivains, et Goethe plus que tous les autres, pourquoi ont-ils donné eux-mêmes dans ce funeste travers, dont ils voulaient guérir leur pays?

Cependant mes deux compagnons continuaient à égrener leurs souvenirs. Ils s’interrompaient seulement de temps à autre pour manger. Chacun s’était muni de provisions pour la route : ils mangeaient en même temps, sans d’ailleurs se rien offrir. Et entre deux bouchées, de nouveau ils me regardaient de leurs bons yeux ingénus, sollicitant ma sympathie pour la jouissance qu’ils goûtaient.

Enfin, le sommeil eut raison de leur émotion. Après la douane allemande d’Herbesthal, l’un, le gros, se remit à dormir, l’autre, toujours vêtu de sa couverture, fit mine quelque temps de regarder le paysage. Les collines boisées de l’Ardenne peu à peu