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ennemis de la France, si ses propres ministres n’avaient pris soin de les affaiblir par les avances faites au général Ligonier. La mauvaise réussite de cette tentative ne les rebute pourtant pas ; ils continuent de saisir toutes les occasions pour rechercher la paix, avec un empressement si peu ménagé que leurs ennemis mêmes en sont surpris et ne peuvent s’empêcher d’en conclure que la France est aux abois, qu’elle sent elle-même l’impossibilité de soutenir plus longtemps la gageure, et que, pour peu qu’on s’obstine à lui refuser la paix, on l’aura à merci. Est-il possible que des gens qui, d’ailleurs, ne manquent ni d’esprit ni de jugement, ne sentent pas l’incongruité de leur conduite ; et, qu’au lieu de rapprocher par là le but qu’ils recherchent avec tant de chaleur, ils ne font que le reculer? »

Puisieulx écouta la réprimande jusqu’au bout, sans sourciller, et poussa même la bonne grâce jusqu’à remercier des charitables avis qu’on lui donnait. « Toutes les réflexions que fait le roi de Prusse sont très justes, lui fit-il dire par Valori, je suis bien convaincu aussi qu’une contenance vigoureuse et assurée de notre part est le seul moyen pour en imposer à nos ennemis. Je suis cette route autant que je le puis. Mais il faut que le roi de Prusse considère que nous gouvernons une nation dont la vivacité et la légèreté la font passer sans cesse d’une extrémité à l’autre, et qui, ayant paru désirer la guerre, ne soupire aujourd’hui qu’après la paix. Le ministère du roi ne doit pas s’assujettir aveuglément à cette inconstance : mais il faut aussi qu’il sache s’y prêter en faveur des grandes qualités que cette nation a d’ailleurs, surtout dans un temps où elle prodigue son sang et ses biens pour son roi avec une générosité et un désintéressement dont il n’y avait qu’elle qui soit capable[1]. »

La justification était sans valeur : plus la nation avait témoigné de dévoûment à son souverain, plus elle avait le droit de se plaindre d’être si mal payée de tant d’efforts ; et, dans le congrès qui allait s’ouvrir, il était triste d’entrer en demandant la paix, sans être sûr de l’obtenir, quand on avait versé assez de sang et conquis assez de gloire pour l’imposer.


DUC DE BROGLIE.

  1. Puisieulx à Valori, 25 novembre 1147. (Correspondance de Prusse. — Ministère de la guerre.)